LE CÔTÉ DE GUERMANTES – Comédie Française

En ce milieu de saison, la Comédie Française reprend l’excursion de Christophe Honoré en pays proustien dans une adaptation de Du Côté de Guermantes. Comme Angels in America, cette nouvelle production avait été sacrément chamboulée par le Covid (et cette « interférence » d’ailleurs illustrée par un film du même Christophe Honoré), ce qui m’avait empêché de voir le spectacle à sa création. Depuis, lavé de la part du fantasme de lecteur que constitue la Recherche du Temps Perdu et convaincu de lisibilité de cet Everest littéraire par l’excellent travail de débroussaillage de l’œuvre mené par la troupe à grand renfort de brillantes lectures diffusées durant les confinements, c’est serein et curieux de voir comment le metteur en scène allait concrétiser sur le plateau cette impalpable nostalgie planant sur la Recherche que je me rendais salle Richelieu, dans l’expectative de voir aussi comment la transposition à la scène allait répondre à la question fondamentale posée par cet amoncellement de chapitres : « l’essence de l’existence est elle définie par le souvenir ?« .

Du côté de Guermantes est peut être le plus théâtral des tomes de la Recherche dans le sens où le personnage central, Marcel, ici le Narrateur, y raconte une situation « matérialisable », à savoir sa désillusion du monde aristocratique du début du XXème siècle et la déception ressentie au moment où il put enfin approcher la duchesse Oriane de Guermantes. Cette déception s’avère être en parfaite adéquation avec la mienne au sortir de cette trop longue pièce, qui en revanche correspondait parfaitement à la (fausse) idée que je me faisais de Proust avant de le lire : un interminable babil mondain et geignard ponctué par bonheur de quelques salvatrices saillies bien senties et bons mots hilarants.

Une fois encore, la qualité de l’interprétation ne saurait être remise en cause : la troupe dont dispose la Comédie Française en ce moment et a fortiori les comédiens distribués dans cette production sont, pour la plupart, irréprochables. Sébastien Pouderoux nous surprend, par son charisme ambigu, à nous passionner pour la stratégie militaire que le marquis de Saint Loup détaille dans une scène d’une longueur pourtant extrême. Serge Bagdassarian est à hurler de rire dans la scène de déclaration/rupture très drama-queen que fait le baron de Charlus à notre Marcel autour d’un bouquet de myosotis. Anne Kessler n’a qu’à remuer la tête pour donner à son personnage tout l’humour pince sans rire que la Comtesse de Marsantes peut distiller dans une soirée mondaine ; alors imaginez sa drôlerie quand elle envoie quelques piques bien affûtées ! Loic Corbery est un Swann particulièrement émouvant ; Dominique Blanc y est impériale en Marquise de Villeparisis et Elsa Lepoivre y est immédiatement mais admirablement détestable dès l’apparition de la fameuse duchesse de Guermantes face à un Marcel souffreteux que compose le pourtant bien gaillard Stéphane Varupenne. Mais tout cela ne prend pas, en tout cas moins bien que dans Fanny et Alexandre par exemple, pour comparer à une autre récente production chorale.

Christophe Honoré se retrouve en effet embêté face à ce monstre à deux têtes et a bien du mal à faire coexister mondanités et intimité. Des premières, nous retiendrons quelques bons mots dont la « haute » se gargarise, insuffisants cependant pour dynamiser ces interminables soirées mondaines qui se soldent en un brouhaha de conversations juxtaposées impossibles à suivre et sans grand interêt. Dans sa veine intimiste, la mort de la grand-mère (Claude Mathieu) est le passage le plus touchant. La scène initiale, dans laquelle le narrateur se place en surplomb par rapport à l’intrigue, laisse augurer une sorte de spectacle dans le spectacle ou de vision documentaire d’autant qu’un preneur de son suit le personnage avec une perche … on imagine qu’il va y avoir une mise à distance du sujet mais cela se dilue, les micros restent (?) sans qu’aucune verticalité ne s’installe. On supposera que les chansons reprises par Marcel sont ses madeleines personnelles (c’est peut être une explication à deux balles mais c’est la seule que j’ai trouvée pour justifier leur présence !). Ce lien à l’intime est, en tout cas, lui aussi bien maladroitement utilisé et la narration se construit sur une trame mortellement linéaire.

Cette production semble ainsi confirmer qu’adapter Proust au théâtre est une chose impossible. Pourtant dans un décor somptueux, Christophe Honoré arrive à re-créer une ambiance qui pourrait être un bon terreau pour faire se developer la sensibilité qui infuse le roman. Mais sa mise en scène plate, terre à terre et erratique saborde toute élévation de ce spectacle qui, se contente d’étaler la bêtise de l’aristocratie et d’aligner d’interminables tunnels sur l’affaire Dreyfus. Ce qui en ressort n’arrive pas à capter l’intérêt du spectateur et, plus grave, le renvoie au cliché qu’il peut avoir de l’œuvre de Proust s’il ne l’a jamais lue à savoir qu’il s’agit des déblatérations d’un snob sur une époque révolue qui ne reviendra plus.

Captivé par le jeu de certains comédiens (plus agacé par le cabotinage d’autres, Laurent Lafitte par exemple), je n’ai hélas pas compris l’intérêt de cette adaptation et encore moins ressenti une quelconque émotion en la voyant. Cela pourrait répondre en partie à notre question du début : ce qui est intéressant chez Proust est en lien avec la fragilité du souvenir et ce qu’il raconte dans ses livres ne vaut peut être qu’au travers ce voile évanescent. L’essence de la vie pourrait donc être en effet son souvenir. Vouloir le faire revivre ou le matérialiser (dans une pièce de théâtre par exemple) serait alors un contresens absolu voué à un échec systématique. Proust ne semble pouvoir être Proust que dans son oeuvre si singulière et ne saurait exister ailleurs. Un sacré farceur ce Marcel !

Le côté de Guermantes 
(Proust/Honoré)
Comédie Française - Salle Richelieu
Jusqu’au 14 mai 2023
Credit photos Jean Louis Fernandez coll CF

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