L’Hotel du Libre Echange … si on peut échanger, on ne gardera pas tout !

Grand succès des années passées, l’Hotel du Libre Echange mis en scène par Isabelle Nanty revient à la Comédie Française sur la scène de la salle Richelieu. Un Feydeau entre les deux pièces écorchées vives d’Ivo van Hove, c’est une bulle d’air salutaire ! Fort des recommandations qui m’avaient été faites, me voila parti dans ce tourbillonnant vaudeville pour ma première expérience franchement comique dans la maison.

L’histoire

Evidemment elle est impossible à résumer proprement. Pinglet a une épouse un peu fatigante et Marcelle, l’épouse de son voisin et ami Paillardin, architecte de son état (vous allez voir que cela a de l’importance) se plaint d’être délaissé par son mari. Après une scène de ménage du couple Paillardin dans le salon des Pinglet, Marcelle accepte l’idée que lui soumet Pinglet de s’encanailler avec lui. Sa femme part chez sa soeur le soir même et son mari dort en ville pour son travail : autant en profiter ! Il ne leur manque qu’un endroit où conclure leur adultère ; et voila justement Mme Pinglet, qui déboule dans le bureau de son mari, outrée de recevoir dans son courrier un prospectus de l’Hotel du Libre Echange, un hôtel borgne « recommandé aux gens mariés … ensemble ou séparément » ! L’adresse ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd et Pinglet y donne rendez vous à sa future maitresse. Par malchance, cet hôtel est l’objet d’un litige entre propriétaire et locataire qui affirme que l’immeuble est hanté … Paillardin, architecte réputé, y est mandaté pour la nuit afin de réaliser une expertise et de prouver que ce sont bel et bien les tuyaux et non pas des esprits frappeurs qui font un boucan de dingue chaque nuit. Entretemps, c’est Monsieur Matthieu qui débarque, une connaissance des Pinglet ; il arrive de province et se propose, en réponse à une vague invitation de politesse faite dans le passé, de rester un mois chez ses « amis » … sauf qu’il n’arrive pas seul mais avec ses 4 filles dont le pensionnat a fermé pour motif sanitaire ! L’hospitalité leur est refusée et Mathieu, entendant par mégarde le nom de l’hôtel dans une conversation qui ne lui était pas destiné, décide d’aller y séjourner avec ses filles. Cerise sur le gâteau, Maxime, le neveu de Paillardin est conduit la nuit même dans cet hôtel pour y être déniaisé par Victoire, la femme de chambre de Mme Pinglet ! Après une nuit agitée et nombre de portes ouvertes et claquées, une descente de police fait retomber l’ambiance à l’Hotel et met sur la sellette le couple illégitime. Un dernier quiproquo sauve l’honneur de tous les personnages guéris par leurs mésaventures de toute envie de recommencer.

L'HOTEL DU LIBRE ECHANGE - Feydeau - Nanty - Comedie-Francaise - Reprises de roles

Révérences …

Porter les personnages de Feydeau, donner  du corps à leurs réparties cinglantes et faire rire sur rythme stakhanoviste n’offrant pas une minute de répit au spectateur est une gageure pour un comédien. Et faire rire en général, qui plus est sur commande et en dehors de tout contexte spontané, est surement la chose la plus difficile qui soit. L’accumulation des situations abracadabrantes et des répliques, dont pas une n’est innocente, ne facilite pas le travail pour ne pas étouffer le public. La mise en scène alerte (c’est le moins que l’on puisse dire !) d’Isabelle Nanty est en ce sens remarquable par l’espace qu’elle donne aux personnages et aux situations. Le vaste bureau de Pinglet des premier et dernier actes permet de planter le décor dans une valse de robes somptueuses signées Christian Lacroix et permet de croquer finement les personnages. Le deuxième acte se déroule dans un décor à  cases multiples permettant de voir deux chambres, la salle commune et la rue au dessus de l’hôtel. Ceci permet de ménager de nombreuses (et en même temps pas assez car cet hôtel devient rapidement une souricière!) entrées et sorties pour les comédiens garantissant un effet de fourmillement très réussi. Le comique de situation et de geste est parfaitement orchestré et l’ensemble fonctionne très bien grâce à une direction d’acteurs au cordeau alliant habilement (pour ne pas dire intelligemment !) une tendance à la grosse farce et des points de vue plus introspectifs sur les personnages.

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Tout fonctionne aussi très bien grâce à certains comédiens particulièrement inspirés. En premier lieu le couple Pinguet. Michel Vuillermoz, truculent, se fond dans le personnage avec une aisance déconcertante alliant vivacité d’esprit teintée de bêtise et humour décapant portés par une énergie impressionnante. Il ajoute à ce habit comique un fond de tristesse, comme une mélancolie d’un temps passé qui complexifie le personnage et le rend particulièrement intéressant. Anne Kessler (Angélique) est à hurler de rire dans son rôle d’épouse mono-maniaque hyper agaçante (on plaint son mari!) dans ses crises d’hystérie, sa posture et ses manières alambiquées mais très touchante par sa sincère tendresse et son honnête droiture envers son mari qui la rendent très attachante. Son innocence confrontée à des accusations non fondées provoque un rire grinçant mais on ne peut se gâcher le plaisir de voir la malheureuse essayer de se sortir du pétrin dans lequel elle se retrouve malgré elle. Christian Hecq, dans le rôle de Mathieu, l’empêcheur de tourner en rond plus collant qu’un trait de glu, en fait des tonnes avec une maestria incroyable. Evitant toute lourdeur, il abuse du comique de répétition, déploie une énergie démoniaque et virevolte tel un diablotin tantôt bègue, tantôt aphasique, toujours insupportable ! Ce trio porte la pièce de leur folie communicative. Bakari Sangare et Nâzim Boudjenah ne s’économisent pas non plus dans les rôles de Boulot et Bastien, les tenanciers de l’Hôtel. La métamorphose de Julien Frison (Maxime) est assez amusante ; le jeune premier arrive en tout cas à composer un personnage attachant et à lui donner un peu de piment là où son texte reste très conventionnel

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... et coups d’épée ! 

Les autres personnages (notamment le couple Paillardin) sont un peu en retrait, ou du moins plus conventionnels, face à ce tourbillon ce qui a tendance à déséquilibrer un peu le plateau et faire perdre le rythme par moment. Cela explique peut être que certains passages paraissent un peu longuets … toutefois, pour ne pas jeter la pierre trop vite aux autres comédiens, le texte, très (peut être trop) volubile, met aussi les nerfs du spectateur à rude épreuve. L’accumulation d’actions contrariées par l’arrivée d’un nouveau personnage et d’un contretemps a, je l’avoue, un peu tendance à agacer au bout d’un moment et, sur les 2H30, ce brave Feydeau aurait peut être pu abréger certaines péripéties.

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Pour conclure,

Si l’on est loin de s’ennuyer dans cet Hotel Du Libre Echange grâce aux numéros déjantés et très inspirés de quelques comédiens dont l’implication à 200% laisse bouche bée, la pièce elle même (accumulant trop de contretemps) et son interprétation (souffrant d’un léger déséquilibre sur le plateau) font que l’on ressent quand même quelques baisses de régime sur la durée. Elle propose, malgré ces quelques réserves, une belle occasion de rire, vraiment et sans retenue, ce qui est toujours fort appréciable dans une salle de théâtre, et l’occasion de voir de talentueux comédiens dans un registre qui n’est pas si habituel à la Comédie Française.

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L’Hôtel du Libre Echange (Georges Feydeau/Maurice Desvallières) – Comédie Française Salle Richelieu – Vendredi 10 Mai 2019

Crédit Photo Brigitte Enguérand 

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