Ecrite en 1993 par Sergi Belbel, Après la pluie est proposée de manière assez surprenante par la Comédie Française que l’on n’attend pas forcement dans ce registre mais qui (j’allais dire « une fois encore ») affirme ses infinies ressources et son adaptabilité à de nouveaux terrains. Huis clos en plein air, ce qui est déjà un petit exploit, cette pièce pourrait paraitre déjà has been et cliché (ce qui était un futur post-moderne dans les années 90 est presque une réalité), pourrait aussi passer à côté d’une actuelle sensibilité française décalée par rapport à la mouvance espagnole de l’époque (on flirte avec les plus déjantés des Almodovar) mais l’habile mise en scène de Lilo Baur et un plateau de comédiens sans cesse capables de surprendre et d’éblouir par leur maitrise de l’art théâtral réussissent à faire prendre une sauce qui tient en haleine sur l’heure 45 de spectacle.
Il n’a pas plu depuis deux ans ; en plus de la touffeur ambiante, un climat oppressant s’est abattu sur la ville depuis que l’interdiction totale de fumer a été déclarée et que des hélicoptères parcourent le ciel traquant et espionnant les citoyens. Venir Fumer sur le toit terrasse de cette florisssante entreprise financière est donc une prise de risque considérable ; pourtant, quelques représentants de tous les échelons de la boite se retrouvent sur ces quelques mètres carrés à 49 étages du sol (171,5 mètres exactement) : du coursier au directeur RH, de la secrétaire à la directrice exécutive en passant par le programmateur informatique. Furtivement, au hasard des rencontres puis de manière plus programmée se succèdent des dialogues de sourds entre inconnus, confidences intimes entre amies improvisées, qui sont autant d’occasions de créer des liens superficiels, d’attendre le retour de la pluie. La metteure en scène Lilo Baur et son scénographe Andrew D Edwards ont trouvé le juste volume et créé un périmètre assez grand pour que tous les comédiens puissent s’y retrouver ensemble et assez oppressant pour faire ressentir au spectateur ce vertige qui prend quand on se retrouve au sommet d’un gratte ciel. Cette sensation est magnifiquement amplifiée par des barres de plexiglas qui hérissent le fond de la scène comme une ville vue d’en haut à tel point qu’on ne sait plus trop dans quel sens on est et que certains mauvais esprits ont envisagé en sortant une consultation chez le neurologue pour troubles de la perception spatiale !
La mise en scène installe dès le début de la pièce ce climat oppressant lié à la fois au monde de l’entreprise et à l’interdit que chacun des personnage transgresse à la fois pour fumer, mais aussi, on le ressent comme çà : pour parler. Comme si à l’intérieur des bureaux, l’humain redevenait un robot entièrement muselé par des contraintes légales, sociales et hiérarchiques. Cette oppression rend le spectateur d’autant plus sensible à l’humour de la pièce , car si le fond est noir Après la pluie est bien une comédie où l’on rit beaucoup. Alors bien sur les dialogues sont impudiques, crus (parfois vulgaires) mais cela fonctionne tellement bien et le texte est tellement bien porté qu’on en oublie les innombrables « putes » ponctuant la pièce. La grande réussite de Lilo Baur et des comédiens est effectivement de donner de la poésie et de la profondeur à ce texte ayant perdu de son aspect visionnaire et de prime abord sans grande valeur littéraire (ce qui n’est bien sur pas le cas!) : et c’est à cela qu’on sait que la mission est fièrement accomplie.
Les comédiens sont bien évidemment d’un très haut niveau. : Anna Cervinka en tête. Dans le rôle de la Secrétaire blonde totalement nunuche (une fois encore désolé mais c’est la pièce qui veut çà, et pas un fond personnel de racisme anti-blond bien au contraire), elle enchaine les perles dans un jeu à contre-emploi parfaitement maitrisé, véritable exercice de funambulisme entre la caricature simpliste et un trop appuyé tirant vers la vulgaire pétasse. Dans le genre contre-emploi, on a aussi Sébastien Pouderoux, irrésistible Programmateur informatique, mec paumé cheveux gras, capable d’être tout aussi agaçant que touchant. Cecile Brune s’impose sans difficulté en Directrice exécutive un poil masculine et livre sur la fin de la pièce un beau jeu dans la phase d’éclosion de cette marâtre castratrice et frigide. Clotilde de Bayser, secrétaire rousse névrosée et psychotique, sort elle aussi le grand jeu portant son rôle avec éclat, humour et tendresse, faisant que son personnage est rapidement émouvant sous ses airs hystériques. Alexandre Pavloff est l’homme dur du groupe ; n’hésitant pas à vendre à prix d’or des cigarettes, il est le Chef Administratif. Sa première scène est d’anthologie : un grand dialogue de sourd avec Sébastien Pouderoux. Au gré de la pièce il apporte de subtiles nuances à son personnage qui prend, grâce à lui, une certaine profondeur. Nazim Boudjenah, dopé, est le Coursier. Qu’il montre ses fesses n’était pas obligé mais quelle énergie et quel comique !! Enfin Rebecca Marder, Secrétaire brune complète le trio des secrétaires avec talent et apporte une (relative) euthymie au milieu de toutes ces femmes au bord de la crise de nerf.
Bloqué sur ce toit terrasse, on se prend à attendre la pluie … qu’on espère voir venir (viendra t’elle d’ailleurs ? … et pour le coup qu’est ce que cela changera?) Les comédiens du français surprennent et transcendent littéralement ce texte dans un interprétation superbement dirigée. Un excellent moment de rire, jaune certes, mais de rire !!
Après la pluie (S Belbel) – Comédie Française – Théâtre du vieux Colombier – Dimanche 7 Janvier 2018
Le Nombril du Vicomte 
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