LA MÉNAGERIE DE VERRE – Odéon Théâtre de l’Europe

Dans les premières minutes, la manière dont Ivo van Hove enveloppe La Ménagerie de Verre de Tennessee Williams, déstabilise. Loin d’une nostalgie floconneuse confortable pour le spectateur, le décor heurte d’emblée le regard : moche à pleurer ! un appartement tapissé du sol au plafond d’une moquette couleur de merde, peignée par endroit pour dessiner des visages fantomatiques, traces tout aussi merdiques du père évanoui dans la nature.

Et puis la science du metteur en scène se dévoile : glissant sur les chatoiements de ce duvet bourbeux dont on ne sait plus s’il est chic ou totalement has been, dégoulinant des volants vaporeux des robes d’Amanda, au détours d’un froid coup de hachoir sur le cou d’une poule au pot ou du son anachronique de vieux vinyles, l’horizon bouchée des personnages suinte dans la salle et gangrène le spectateur.

Antoine Reinartz d’une finesse de jeu remarquable n’a pas besoin d’en faire des tonnes pour expliciter les non dits autour des escapades nocturnes de Tom dans des « cinémas » et ce que la liberté lui apporterait. Isabelle Huppert peut paraître cabotine ; elle est au contraire grandiose. Dans la tragédie classique : se taire équivaut à mourir. Elle étourdit alors son Amanda de paroles, d’injonctions, de gesticulations pour faire comme si de rien n’était, pour ne pas voir que la maison s’effrite et prolonger la vie, pitoyable peut être mais toujours pleine d’espoir ou d’utopie. Et quand le vernis s’effrite, elle frôle le sublime.

La scène la plus immédiatement intense se joue entre Justine Bachelet et Cyril Gueï (Laura et Jim) dans laquelle les deux comédiens ouvrent furtivement une parenthèse salvatrice dans ce huis clos étouffant, avant un retour à la réalité qui fracasse le spectateur comme une licorne de verre jetée au sol.

Une nouvelle fois Ivo van Hove séduit par la manière dont il secoue le spectateur. Cela ne marche pas avec tout le monde, mais acceptez de le suivre sans a priori et vous saurez !

La Ménagerie de verre 
(Williams/Van Hove)
Odéon théâtre de l’Europe
jusqu’au 22 décembre 2022
crédit Photos Jan Versweyveld

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