Les Démons … nébuleuse Russie

Je serais mal placé pour dire si oui ou non cette adaptation des Démons ou des Possédés (appelez les comme vous voulez) de Dostoïevski est bonne ou mauvaise. Je n’ai jamais réussi à lire un seul de ses livres ; le poids des volumes prenait toujours le pas sur l’intérêt de ma lecture. C’est donc pour moi un exploit littéraire que réalise Erwin Mortier de transcrire au théâtre ces deux pavés, emblématiques de la littérature russe, évocateurs d’un monde suranné et daté mais aux effluves révolutionnaires pourtant terriblement actuelles. A la charge de Guy Cassier, un habitué du genre, de monter cette adaptation pour la Comédie-Française qui lui offre, pour incarner cette fresque crépusculaire, une distribution des plus flamboyantes.

Le texte se déploie sur deux plans et l’adaptation qui en est faite tente de tenir debout un pied dans le romanesque et le sentimental, (cet aspect donne lieu à de très belles scènes pleines émotion) , et un pied, moins stable, dans la politique, dévoilant la besogneuse énergie dont font preuve ces révolutionnaires de salon pour tenter de renverser l’ordre des choses. Le rendu est surtout nébuleux et anti dramatique. Ce combat entre des jeunes qui veulent tout détruire pour reconstruire ils ne savent pas quoi sur des ruines fumantes et des vieux sans idée, en tout cas sans le courage d’agir, est une belle critique du nihilisme mais ne réussit pas à me faire rentrer dans cette cacophonie de voix tentant de trouver une partition commune à leurs idées confuses. Des idées qui résonnent pourtant à nos oreilles : la description en filigrane d’une Russie moribonde aux portes du chaos trouve des échos dans certaines situations sociales ou politiques actuelles, mais ces réflexions et ces agitations, bien que superbement interprétées, restent assez peu « théâtrales » par manque d’un réel enjeu. Tout est pourtant très beau : les costumes, les lumières, les décors d’intérieur mordorés, comme éclairés à la bougie, ou d’extérieurs enneigés. Sans se douter qu’il va ainsi creuser la tombe du théâtre, le metteur en scène prend le parti, afin de de montrer l’ opposition entre des personnages qui se côtoient mais ne se comprennent plus, de ne jamais les faire parler en face l’un de l’autre… Et même toujours de dos (c’est à dire de profil pour le public) ! La confrontation se passe sur trois écrans suspendus au-dessus de la de la scène qui reconstituent le face-à-face des personnages et, par d’habiles montages, leurs échanges tactiles… Le procédé est maîtrisé à la perfection mais ôte toute théâtralité à la chose, le spectateur étant insidieusement pris en otage par l’image. 

L’expérience doit être passionnante pour les comédiens de réussir à jouer sans voir leur partenaire et en touchant une doublure… Elle laisse malheureusement le spectateur sur le carreau, happé par les superbes images projetées et qui se retrouve banalement à regarder passivement la télé. Quand un instant ces maudits écrans s’éteignent et disparaissent, le théâtre reprend ses droits mais il est déjà trop tard, la magie ne naitra plus. Et pourtant Hervé Pierre est vraiment touchant en vieil aristocrate un peu perdu entre deux mondes. Dominique Blanc illumine de bout en bout la distribution en prenant l’éclat vipérin d’une Merteuil exilée en Russie. Suliane Brahim livre une scène impressionnante face à Christophe Montenez, rôle pivot de l’intrigue, d’une beauté incandescente et magnétique, mais hélas un peu flou dans les contours donné à son personnage, il est vrai insondable. Le reste de la distribution est, évidemment dans cette maison, exemplaire et instille immédiatement du « jeu » quand il n’est plus question de vidéo.

Mais cette succession d’images aussi sublimes soient-elles n’a pas suffi à me faire aimer (et comprendre je l’avoue !) les subtilités de ce monument de la littérature russe qui restera pour moi aussi insaisissable que l’ambiance sombre et mystérieuse de cet étrange mais somptueux objet construit par Guy Cassier.

Les Démons (F Dostoïevski)
Comédie Française - Salle Richelieu
Jusqu'au 16 janvier 2022
Crédit Photos C Raynaud de Lage coll CF

Un commentaire

  1. Que c’est compréhensible de ne pas tomber en pamoison avec Dosto, surtout quand on commence par les Démons. C’est touffu, noirâtre voire excessif (comme souvent chez le plus russe des écrivains russes). Ceci dit, dommage que je ne sois pas sur Paris pour voir cela en chair et en os !

    J’aime

Laisser un commentaire