Les Fourberies de Scapin … ter

Troisième reprise des Fourberies de Scapin dans la mise en scène de Denis Podalydes pour la Comédie Française et succès toujours aussi retentissant à en juger par la saturation de la billetterie qui affiche complet jusqu’aux représentations de février. La production regorge de qualités longuement décrites lors de la création (lire >> ici) et de la reprise (lire >> ici), la distribution propose quelques nouveautés : il n’en fallait pas plus pour nous donner envie d’y retourner !

Qu’est-ce donc qu’il s’y passe ?

Léandre et Octave sont restés seuls à Naples avec leurs valets respectifs, Scapin et Sylvestre durant l’absence de leurs pères Géronte et Argante. Nos ados en pleine révolution hormonale en ont profité pour : l’un pour s’acoquiner avec une diseuse de bonne aventure (Léandre/Zerbinette) et l’autre épouser une fille au passé familial  hasardeux (Octave/Hyacynthe)…mais les pères reviennent … avec le projet de marier Octave à une fille de Géronte, qui de son côté n’est pas du genre à approuver les fréquentations amoureuses de son fils ! Apprenant cela, nos deux étourneaux tombés du nid se tournent vers Scapin pour résoudre le gros problème auxquel ils vont devoir faire face. Ce dernier réussit à force de fourberies à extorquer de l’argent aux deux pères et à mener à bien les entreprises de Léandre et Octave. Aux détours d’une vengeance personnelle, il est cependant démasqué par Géronte mais comme dans toute bonne pièce, un coup de théâtre résout les problèmes familiaux et chacun finit par épouser celle qu’il aime tout en satisfaisant les pères ! … Scapin, dans une dernière fourberie, se fait pardonner ses mauvais tours.

Les Fourberies de Scapin - Moliere - Podalydes - Comedie Francaise - Salle Richelieu

Quel plaisir d’y retourner

On pourrait tout autant transformer cette affirmation en question étonnée : pourquoi retourner voir trois fois cette pièce déjà décortiquée au collège et ne faisant a priori pas état d’une grande profondeur ni intellectuelle ni comique ? d’abord parce qu’il ne faut pas se fier aux a priori et ensuite parce que cette comédie populaire, écrite par Molière pour un public moins guindé que son habituel parterre de courtisans plus concentrés sur la réaction du Roi que sur le texte, révèle surement l’auteur sous sa verve la plus libre et de fait, la plus sincère. Si les ressorts comiques de la pièce peuvent paraitre grossiers à la lecture, ils sont efficacement et finement articulés dans la mise en scène de Denis Podalydes. Le metteur en scène ajoute à cette hilarante veine théâtrale une subtile mise en lumière de non dits et sous entendus : sociaux tout d’abord à travers les pères qui se voient obligés de se frotter à la canaille et à descendre dans la cale sèche où Denis Podalydes place l’intrigue (y voir des prémices de l’abolition des privilèges devient ici presque une évidence !) ; psychologiques ensuite par le biais du personnage de Scapin dont le charisme irrésistible en fait presque un gourou capable de révéler à travers les désirs, fascinations et autres fantasmes qu’ils projettent sur lui, le « moi profond » des autres personnages. Cette approche densifie le propos, en tout cas révèle une profondeur assez inédite dans les manières d’aborder ce texte.

 

Benjamin Lavernhe, Scapin incontournable  

On aurait pu croire qu’au bout de deux saisons et après une tournée Benjamin Lavernhe se soit un peu lassé du rôle et qu’il se soit installé dans un jeu routinier. Tant pour lui que pour les autres titulaires des rôles depuis la création, cette crainte est dissipée dès son apparition qui résume à elle seule ce que sera le personnage : un objet constant de fascination pour chacun de ses interlocuteurs et le public. La verve du personnage est jubilatoire et sans cesse renouvelée, l’interprétation riche de milles nuances et l’incarnation incroyable jusque dans les moindres petits gestes ramenant le personnage aux bas fonds crasseux d’où il vient. Incarnation est le mot particulièrement adéquat car le comédien fait du corps de son personnage un élément essentiel de la réussite des ses entreprises de sauvetage des intérêts des jeunes gens : la dimension christique d’un esprit (certes fourbe) salvateur prenant chair s’avère cette fois d’autant plus frappante que j’ai lu récemment Soif d’Amélie Nothomb !

Les Fourberies de Scapin - Moliere - Podalydes - Comedie Francaise - Salle Richelieu

Une distribution à l’unisson

Les autres comédiens trouvent chacun leur place autour de cet homme orchestre dont l’intelligence de jeu permet des scènes toujours équilibrées. Parmi les anciens de la production, on retrouve avec un plaisir toujours aussi grand l’incroyable Didier Sandre dont les talents comiques, rarement exploités, s’avèrent magistralement efficaces dans le rôle de Géronte, auquel il confère un « arrière gout »  d’homme fragile et touchant sous des airs bougons et rustres. Gael Kamilindi donne de beaux élans romanesques à Léandre sans le déposséder d’une certaine naïveté comique tandis que Julien Frison fait d’Octave un couard sympathique et drôle. Bakary Sangare apporte un visage singulier à Sylvestre et sort le personnage du simple rôle de valet oeuvrant dans l’ombre de Scapin : il acquiert ici un côté plus pittoresque grâce au jeu très extraverti du comédien. Pauline Clément se retrouve dans une certaine zone de confort et parait un peu plus fade après son extraordinaire prestation dans la Puce à l’Oreille (lire >> ici). Il faut dire que le rôle de Hyacinthe offre peu pour briller et proposer un personnage vraiment intéressant. Nous découvrions ce soir là Nicolas Lormeau en Argante et Elissa Alloua en Zerbinette. Tous deux s’intègrent parfaitement au reste d’une distribution bien rôdée et loin d’être blasée.

Les Fourberies de Scapin - Moliere - Podalydes - Comedie Francaise - Salle Richelieu

Le résumé

La mise en scène de Denis Podalydes est à ce point riche qu’elle surprend encore à la troisième fois. Le jeu des comédiens est à ce point brillant qu’ils font encore preuve de nouveauté. On rit toujours autant de ces Fourberies qui placent indubitablement Benjamin Lavernhe parmi les interprètes incontournables du rôle de Scapin. Tout est complet mais il reste toujours un petit contingent de places de dernières minutes au « petit bureau » tous les soirs … tentez-y votre chance, vous ne le regretterez pas !

Les Fourberies de Scapin (Molière) – Comédie Française / salle Richelieu – Vendredi 1er Novembre 2019

Crédit photos Brigitte Enguérand (coll CF )

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