Le Marchand de Venise (Business in Venice) … circulez y a rien à vendre !

Le Marchand de Venise ne fait pas partie du top five des pièces de Shakespeare … et pour cause ! le texte contient quelques saillies difficiles à enrober même avec la plus intelligente des mises en scène … qui plus est, en ces temps où l’antisémitisme est un sujet particulièrement sensible. Le Théâtre National Bordeaux Aquitaine a pourtant eu l’audace de le programmer dans une mise en scène de Jacques Vincey pour qui une adaptation de ce texte s’imposait « à l’heure de la dette mondiale, des flux migratoires et de la montée des extrémismes » dans le but de « déjouer le réel pour révéler le scandaleux et l’obscène que le monde s’efforce de cacher« . Assister à ce spectacle s’imposait-il vraiment au spectateur ? telle est la question à laquelle nous allons essayer de répondre … avec seulement une partie (la plus importante toutefois) des données vue notre fuite précoce après le 3ème acte !

L’histoire 

Bassanio, gentilhomme fauché de Venise envisage de conquérir Portia, riche héritière du pays de Belmont. Pour cela, il a besoin d’argent et emprunte 3000 ducats à Antonio, un estimé marchand…de Venise (c’est lui!). Celui ci a sa flotte en mer et n’a pas de cash d’avance ; sans scrupule, il propose à Shylok, un usurier juif qu’il méprise d’ordinaire, de lui emprunter cet argent. Sûr du bénéfice qu’il fera au retour de sa flotte, il accepte les conditions étranges du contrat : s’il ne peut rembourser la somme en temps et en heure, le « juif » prélèvera une livre de chair de son débiteur. Tandis que Bassanio séduit Portia et résout l’énigme par laquelle son défunt père la délivre du célibat, Antonio apprend que sa flotte est en perdition. Shylok, une fois de plus humilié, aspire à la vengeance : il a en effet vu s’enfuir son serviteur Lancelot et sa fille Jessica (ayant par ailleurs pillé sa maison) fraichement  convertie au christianisme par amour pour Lorenzo, proche du clan du marchand d’Antonio. A l’échéance prévue, il vient réclamer son dû. Bassanio, informé de la disgrâce de son ami Antonio se lamente ; Portia lui offre 6000 ducats pour calmer les récriminations de Shylok. Le jeune homme retourne dare-dare à Venise, propose le double de la somme attendue pour sauver son ami mais Shylok refuse : il veut de la chair comme l’exige le contrat !! Le doge l’implore de réflechir et soumet le cas à un jeune expert en Loi fraichement débarqué (Portia déguisée). Shylok n’en démord pas et, tandis que l’on tombe d’accord pour une livre de fesse, il fait remarquer que le contrat ne précise pas quel endroit du corps doit être prélevé … il exige de ce fait le coeur. Les juges se retournent alors contre lui : pour avoir voulu assassiner Antonio, voilà le malheureux juif puni : le remboursement de l’emprunt est annulé, ses biens confisqués et sa vie remise au bon gré du doge non sans qu’au préalable on l’oblige à se convertir au christianisme. Bassanio remercie chaleureusement cet expert de la Loi qui lui demande en échange son anneau (cadeau de Portia avant son départ). D’abord hésitant, il finit par le donner… pour se retrouver bien embêté lorsque de retour dans la province de Belmont, il se voit contraint par sa dulcinée ayant revêtu ses vrais habits, de lui rendre l’anneau qu’il n’a plu ! Tout finit bien sur par « s’arranger » tant à Belmont où les couples Bassanio/Portia et Lorenzo/Jessica filent le parfait amour qu’à Venise où Antonio voit finalement arriver sa flotte saine et sauve.

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Révérences …

Il y a bien peu de choses à sauver de cette production si ce n’est sa mise en évidence de la symétrie de la pièce et la réciprocité des enjeux entre le juif dénigré et le chrétien notable  d’une part et entre l’entreprise amoureuse et le marché financier d’autre part. Les deux « mondes » (Venise et Belmont) sont ainsi clairement individualisés sur le plan de la scénographie et du traitement par le metteur en scène qui opte pour deux partis pris différents opposant l’hyper réalisme d’un monde concret et la poudre aux yeux d’une télé-réalité.

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… et coups d’épée ! 

Mais déjà voit on poindre à travers l’énoncé de ces deux seules idées de Jacques Vincey les limites du développement de son propose qui va devenir un long parcours du combattant, pas forcement ennuyeux à suivre mais surtout visuellement éprouvant, tout n’y étant que laideur. Et le laid m’empêche bien souvent d’écouter… L’action débute (fort!!) dans une superette hyper-réaliste des rayons de laquelle les personnages « bouffons » qui jalonnent la pièce, comme traditionnellement dans les pièces de Shakespeare, jettent au public des poches de chips (hélas tombées sur mon voisin sans quoi j’aurais peut être pu jouer le télé-spectateur moyen regardant la pièce en dévorant ces délicieux pétales graisseux et me grattant l’entre-jambe). Ce décor est horrible, éclairé de néons peu flatteurs ; les costumes le sont tout autant ; on notera une sensible amélioration au cours de la pièce, tellement la barre est placée haut dans l’échelle de la laideur lors de la scène d’ouverture. Il faut savoir que l’action débute pendant le carnaval de Venise : Antonio déboule donc déguisé, réussite oblige, en Superman, sauveur de l’humanité, et pour ceux qui ne l’auront pas compris de Bassanio en l’occurence, le justicier désinteressé (joliment trouvé) … le reste n’est que tête d’élephant rose, travelo sur le retour et toison pubienne indomptée. Le monde de Belmont, est traité comme une téléréalité avec projection d’images sur fond pailleté, voix off et princesse affichant pour prôner la vertu une vulgarité à faire passer les idiotes de NRJ12 pour des modèles d’élégance. La gratuité de cette laideur rend la mise en scène difficilement compréhensible et de fait, difficilement supportable … insupportable même !

Face aux intentions politiques revendiquées par le metteur en scène dans le programme de salle, il est difficile de ne pas se retrouver déconcerté par l’absence totale de lien avec ses prises de position dans le spectacle qu’il propose: le seul lien trouvé pourrait être celui du fanatisme qui ferait dans ce cas de Shylok une sorte d’intégriste terroriste prêt à mutiler le « bon chrétien » ? (cela serait à mon gout un affreux contresens) mais nous ne le saurons pas… et j’avoue que partir avant la fin ne nous aura pas éclairé sur l’obscur discours du metteur en scène. Il y a pourtant quelques axes intéressants à developper dans cette pièce ambiguë (des pistes ici à peine soulevées) pour faire dépasser certains propos caricaturaux et clairement antisémites. On pouvait en effet opposer la franchise d’un usurier qui prête avec intérêt mais qui au moins annonce la couleur et fait clairement de l’argent son commerce à la fourberie déguisée sous l’hypocrite manteau du  marchand faussement généreux (qui prête pour le « plaisir » d’aider) mais qui n’aspire pas moins à tirer profit de sa charité. De là à faire le parallèle avec l’entreprise amoureuse qui constitue le second axe dramatique de l’oeuvre, il n’y aurait alors qu’un pas ! Bassanio ne conquiert objectivement Portia que pour son argent (et le laisse entendre dès sa première évocation de son entreprise) ; il use comme le mondain marchand Antonio d’une fausse modestie en choisissant le coffret en plomb là où les autres princes, plus directs, choisissent l’or ou l’argent dans l’énigme permettant de gagner Portia (et le pactole associé)…Ne l’ayant pas vu et ne sachant pas ce qu’en a fait Jacques Vincey, on supposera que le procès a été traité avec autant de désinvolture et de premier degré, là où le texte se montre une nouvelle fois plus ambigu : Shylok est-il un bouc émissaire ou bien son désir cupide et sanguinaire de vengeance mérite-t’il être puni ? doit-on voir dans ce dénouement le triomphe du « bon chrétien » ou au contraire une acerbe critique de la fausse charité et le pouvoir absolu de ceux qui font odieusement tourner le monde sous des airs de marchand respectables ? Tout autant de questions que pose un texte complexe, ici malheureusement réduit à sa plus simple expression. Quant à l’idée de rajouter en préambule un numéro de stand up avec des vannes du niveau d’une salle de garde d’internes au CHU (et Dieu sait que je peux être client !) quand on s’avère incapables d’utiliser a bon escient les 3 heures de texte déjà disponibles, il fallait oser !

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Pour conclure, 

il y aurait  donc eu bien mieux à faire pour donner un éclairage plus favorable à cette pièce mal-aisée à mettre en scène (il faut le reconnaitre) et pour essayer de libérer ce texte d’un premier abord raciste et caricatural mais n’accusant finalement pas avec une évidence si certaine celui qui est montré du doigt … Cela aurait supposé un peu de finesse, qualité dont hélas, ni le metteur en scène, ni son cast braillard et débraillé ne semblaient être dotés sur cette production. Circulez, y a rien à acheter !

Le Marchand de Venise (W Shakespeare) – Tnba – Salle Vitez – Vendredi 25 janvier 2019

Crédit photo Christophe Raynaud de Lage

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