Arlequin (Jollyment) poli par l’Amour…

Encore un Marivaux inconnu !! après l’Héritier du Village, le TnbA propose cette année l’une des premières apparitions d’Arlequin dans l’une des premières pièces du célèbre auteur français. Cet Arlequin poli par l’Amour est écrit dans un langage simple et peu verbeux  (je devrais en prendre de la graine) en raison du français assez limité des acteurs italiens de la troupe à laquelle Marivaux le destine. Cette comédie en un acte à l’intrigue simpliste rivalise mal avec la production plus tardive de l’écrivain mais avec un sens du théâtre déjà bien développé, Thomas Jolly en faisait dès 2007 un spectacle abouti et complet avec des moyens artisanaux. Suite au succès de la Piccola Familia, le spectacle est remonté et a une seconde vie pour notre plus grand bonheur de spectateur.

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L’histoire :

Une fée a enlevé Arlequin, un berger au physique plaisant. Son captif est malheureusement aussi stupide que beau et ne comprend rien aux choses de l’Amour qu’elle tente de lui inculquer avec ses domestiques. Jusqu’au jour où Arlequin, allant se ressourcer dans la verte prairie rencontre Sylvia, bergère de son état ; ils tombent amoureux et se promettent de se revoir. En gage de ces prochaines retrouvailles au milieu des troupeaux, Sylvia lui laisse un mouchoir qu’Arlequin ramène tel une sainte relique au château de la fée. Celle ci flaire l’entourloupe et, folle de jalousie en voyant que son bellâtre est tombé amoureux d’une autre, fait capturer l’innocente bergère. Sous la menace, et malgré les imprécations de Sylvia lui disant que quoi qu’elle dise, Arlequin ne pourra pas croire qu’elle ne l’aime pas et s’est moquée de lui, la fée lui fait promettre de mentir à Arlequin pour lui dire qu’elle ne l’a jamais aimé. Trivelin, le valet de la fée doit assister à la rencontre des deux amoureux et à la trahison de Sylvia. Touché par leur chagrin mutuel et l’Amour que se témoignent les deux pastoureaux durant cette scène, Trivelin décide de les aider. Arlequin arrive à voler la baguette de la fée et récupérer ses pouvoirs. Il libère Sylvia et fait rosser les serviteurs de la fée, y compris Trivelin qui l’a pourtant aidé. Armé de la baguette de la fée et poli par l’Amour, il se destine à devenir Roi…

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Révérences …

Intrigue modeste, nombre de personnages réduits (6) … cette configuration étonne quand on voit les plateaux et les textes que brasse désormais Thomas Jolly le metteur en scène, assisté sur cette tournée du « regard extérieur » de Charline Porrone. On lui doit en effet les quelques 18 heures de théâtre d’Henry VI de Shakespeare suivi du plus modeste mais quand même fleuve Richard III avoisinant les 4 heures. Et pourtant, cette pièce antérieure à ses grands opus, contient déjà tout le talent de ce metteur en scène. Les décors sont quasi inexistants et pourtant ils nous transportent d’un palais à une prairie en un clin d’oeil. La maitrise des éclairages est une nouvelle fois bluffante tant Thomas Jolly exploite en moins d’une heure trente tout ce que l’on peut fair avec une rangée de projecteurs et 6 ampoules suspendues à un fil. Sur le plan de la scénographie, la scène du coup de foudre entre Arlequin et Sylvia est surement l’un des plus beaux moments de théâtre de ces dernières années ; d’un bout de texte quasi insignifiant, Thomas Jolly déploie une scène grandiose et pleine de poésie permettant pour une fois au spectacle vivant de rivaliser avec le cinéma. Frisson d’émotion assuré. Tout est mené au cordeau, tambour battant sur un ton bien évidemment comique et volubile qui vient compenser le côté plus rustique du texte. Cela ne fonctionnerait pas sans des acteurs complices, absolument géniaux dans tous les registres y compris celui de faire les moutons peuplant la prairie où se rencontrent Arlequin et Sylvia. Les solutions à tous les problèmes que pose la construction de la pièce sont à la fois d’une simplicité déconcertante et d’une ingéniosité folle : ainsi Arlequin gonflant des ballons debout sur une chaise, liaison improvisée pour faire disparaitre des accessoires devenant gênants lors d’un changement de scène, lecture des didascalies pour planter un décor et transformer à vue  de manière aussi singulière qu’amusante un plateau nu en une prairie moutonneuse… La bande son mêlant musique punk, opéra baroque et rock à pleins décibels finit de rendre cette petite pastorale parfaitement contemporaine. L’intrigue, ainsi défaite de son côté vieillot par toute cette mise en scène, devient soudain un thème universel et sublime les souvenirs de nos premiers (et pas que) amours. Seule cette fin abrupte, montrant Arlequin, délaissant l’Amour à peine découvert, s’enticher d’un nouvel objectif : le Pouvoir, ramène brutalement sur terre. Avec intelligence, le metteur en scène souligne que dans cette petite pièce, Marivaux laisse déjà planer cette saveur douce amère que l’on retrouvera dans ses plus grands chefs d’oeuvre.

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… et coups d’épée !

Le Tnba organise à l’issue de certaines représentations des « bords de scène » où le public peut prolonger son séjour dans la salle et rencontrer les membres de la production pour une discussion ouverte. Cette initiative est plutôt bonne et a permis entre autre de découvrir des personnalités passionnantes pour parler de ce spectacle avec lequel elles vivent depuis de longs mois. Par malheur, un bougon s’est immiscé dans cette joyeuse assemblée et a harangué le public et la troupe de tout ce qu’il n’avait pas aimé : l’humour (vu son air grincheux on l’avait compris), le fait que le mouchoir se soit transformé dans la mise en scène en un tablier (! oh scandale  !) et surtout cette fin qui fait sentir qu’Arlequin est devenu méchant une fois armé de la baguette alors que selon lui il fallait célébrer le triomphe de l’Amour. Malgré maintes explications sur le fait que le texte précise qu’Arlequin « roue de coups les serviteurs de la fée », le rustre se contentera de maintenir sa position en disant que c’est normal qu’Arlequin qui a gagné rosse ses ennemis vaincus !! comment dire que grâce à un seul homme toute la bonne humeur dont on ressort chargé en sortant de cette pièce s’est évaporée et que c’est bien lui qu’on aurait aimé battre !!

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Superbement mis en scène, joué avec une vitalité et une conviction éblouissante, cette pièce anodine de Marivaux devient un pur moment de bonheur et une expérience théâtrale totalement magique qui je l’espère donnera à tous ceux qui ne le connaissait pas l’envie de continuer à explorer la production théâtrale de ce prodigieux metteur en scène et de sa compagnie.

 

 

Arlequin poli par l’Amour (Marivaux) – TNBA Salle Vauthier – Jeudi 5 Avril 2018 

La Piccola Familia et Thomas Jolly >> le site 

Crédit photo : Nicolas Joubart / Arnaud Bertereau

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