Poussière … requiem pour 10 vieux !

Poussiere - Lars Noren - Comedie-Francaise - Salle Richelieu

« J’ai attendu avec impatience de devenir vieux …parce que cela pouvait être un moyen d’échapper à ce que les gens attendent de vous« . C’est avec ces mots que Lars Norén, un des fleurons de la littérature contemporaine suédoise fait son entrée dans la grande salle de la Comédie Française, invité par Eric Ruf à créer une pièce pour « sa » troupe. Le texte est encore fumant, fraichement remanié par l’auteur/metteur en scène lors des répétitions pour mieux coller aux personnages  et aux « vétérans » (avec tout mon respect) de la compagnie qui les incarnent. Antichambre de la mort, cette pièce au sujet lourd et peu vendeur dans une société qui cache ses « vieux » aurait pu rendre la catharsis un peu âpre pour le spectateur… ne nous voilons pas la face : c’est un peu le cas et l’on ressort avec un gout bizarre dans la bouche …mais pas que ! avec froideur mais non sans humour, Poussière démystifie le passage de vie à trépas.

Poussiere - Lars Noren - Comedie-Francaise - Salle Richelieu

Lars Norén n’aurait pas pu écrire ce texte avant dit-il. Il lui fallait être vieux (70 et quelques ans) pour pouvoir livrer cette approche quasi médicale du moment qui précède la mort. Ce moment qui obsède l’être humain à partir d’un certain âge car c’est bien ce « passage » qui angoisse, bien plus que « l’après » du moins dans ce que présente le dramaturge suédois. Dix « vieux », anonymes, nommés de A à J, se retrouvent chaque année depuis une trentaine d’années dans la même station balnéaire. Cette station a du être radieuse et ensoleillée : elle est désormais grise, sale et poussiéreuse ; sa plage est jonchée de galets ternes, de déchets, de vieux objets oubliés et, actualité oblige, voit s’échouer le  corps d’un enfant noyé (allusion assez évidente bien que jamais directement assumée -et devenant de ce fait dénonciation un peu hors sujet- à ce malheureux enfant kurde en exil). Le texte, froid, sans détours (on pense à Thomas Vintenberg ou Mickael Haneke qui, bien que d’horizon géographique différent est un concitoyen de ces territoires à la froideur clinique) est construit sur un subtil mélange d’humour, d’absurde et d’un grand fond de vérité ; une vérité qui dérange, que la société moderne évacue bien souvent par placement de ces « vieux » dans des endroits spécialisés. Et cet hôtel, à la façade délabrée, qui accueille A.B.C.D.E.F.G.H.I et J pourrait finalement être la salle commune d’une maison de retraite. Le texte est fait de phrases lancées comme autant de bouteilles à la mer attendant une réponse qui ne vient jamais où alors pas de la manière escomptée:  « Parle plus fort ou ferme ta put.. de gueule » vocifère un plagiste à son voisin de chaise longue ; il se construit sur des tentatives avortées de dialogue où chacun suit son idée sans jamais écouter ni même entendre son interlocuteur, pas même au sein de ce couple de vacanciers qui après X années de vie commune semble ne toujours pas se connaitre vraiment. Autant de mots qui se perdent dans le ressac des vagues, même les plus violents comme ceux évoquant les aveux de cet homme passionné par Simone Veil et abusé dans son enfance, comme ceux constituant le récit d’un divorce mal vécu, comme l’épuisement d’une mère par l’éducation de sa fille handicapée mentale…

Poussiere - Lars Noren - Comedie-Francaise - Salle RichelieuLars Norén ne nous épargne pas non plus (mais finalement n’est pas ce qui doit rendre la vieillesse plaisante?) le total renoncement aux conventions sociales, à la morale ou à la bienséance, à la pudeur qui s’opère à cet âge … ce qui donne lieu à des scènes comiques où chacun dit sans filtre le fond de sa pensée sur les autres, mais aussi à des scènes plus émouvantes (un tel livre sans pudeur le fond de son âme) ou  franchement dérangeantes par libération complète du rapport au corps et au sexe que l’on exhibe ou que l’on masturbe sans gêne. Séniles pertes de repère ou ultime lâcher prise vis à vis des autres, cette ultime « liberté » qu’évoque l’auteur ? on ne saura jamais tant les phrases se perdent dans le néant de la vie de ces « vieux », servant juste à exprimer leurs obsessions incongrues développées pour oublier qu’ils ont oublié leur passé. La parole compulsive semble aussi être le dernier moyen trouvé pour prolonger la vie comme un « je parle donc je suis ». Si le fond est assez rude à encaisser, le texte n’est pas dénué d’humour revigorant à travers (entre autre) le personnage de la bourgeoise interprétée par la délicieuse Anne Kessler dont les saillies pince sans rire font un bel effet et détendent l’atmosphère pesante il faut bien en convenir. D’autant que chacun, va passer de l’autre côté du miroir, au sens figuré comme au sens propre : délicatement amené hors de scène par Marylin, la jeune fille handicapée mentale, qui ne fait que chantonner durant toute la pièce, innocence absolue, imperméable à tout cela car dépourvue de toute notion de temps, de vie, de mort …

Poussiere - Lars Noren - Comedie-Francaise - Salle Richelieu

On les retrouve alors dans une ambiance ouatée, derrière un voile translucide en fond de plateau, encore hagards mais apaisés, comme si le passage n’était finalement qu’un pas de plus dans la vie, un dernier élan évitant de pourrir et s’enliser sur cette plage. Il est difficile de dire un mot de tous les comédiens, tous extraordinaires dans leur appropriation du texte qui est surement un vrai casse tête à apprendre et restituer tant il ressemble plus à une partition musicale qu’à un canevas dramatique, parce que les personnages sont finalement sans réelle consistance a priori. A priori seulement, car écrire cela est une hérésie : chaque personnage a une histoire que chaque interprète a dû construire à partir des bribes d’information que le texte distille sur les deux heures que dure la pièce. Tout le poids de leur passé est à ingérer, (digérer) pour individualiser chaque personnage et pour faire sonner juste ce présent qui se disloque et s’effrite. Et c’est là que le génie des comédiens choisis par l’auteur éclate aux yeux du public attentif. Alors bien sur, certains plus démonstratifs ou plus aidés par un texte plus clément avec leur personnage, se distinguent peut être davantage : Anne Kessler, Hervé Pierre, Bruno Raffaeli qui provoquent franchement le rire ou le malaise. Mais on ne peut résister à la mélancolie de Dominique Blanc qu’on a juste envie de prendre dans ses bras, à la clairvoyance de Didier Sandre proposant un personnage d’une superbe et touchante finesse, à la discrète félure de Martine Chevalier, mère courageuse de le jeune fille handicapée, à la vie malheureuse de Gilles David,  mais aussi aux personnages au destin bouleversant de Danièle Lebrun, Christian Gonon et Alain Lenglet. Françoise Gillard dans le rôle de Marylin, l’attardée mentale, est effroyablement troublante : à la fois totalement étrangère à ce qui se passe, elle surprend par sa vision épurée des choses : capable de câliner un vieillard inconnu sans retenue ni gêne et d’appréhender la mort sans peur, comme la chose la plus naturelle de la vie.

Poussiere - Lars Noren - Comedie-Francaise - Salle Richelieu

Véritable partition chorale, Poussière est une expérience troublante dont le spectateur ressort assez bouleversé surement de différente manière car ce spectacle peut être plus qu’un autre traditionnellement donné dans cette maison, renvoie à quelque chose de très personnel… Mais pour celui qui veut se confronter à ce texte et accepter de voir ce qu’il n’a pas forcément envie qu’on lui montre, il est surtout question de la vie et de savoir ce que chacun de nous, spectateur, veut ou doit en faire.

Poussiere - Lars Noren - Comedie-Francaise - Salle Richelieu

Poussière (Lars Norén) – Comédie Française – Salle Richelieu – Dimanche 18 février 2017

Crédit Photo Brigitte Enguérand

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