DIALOGUES DES CARMELITES – Opéra National de Bordeaux

Je n’ai pas pleuré … et cela résume surement tout ! L’Opéra National de Bordeaux reprend, quelques dix ans après, les Dialogues des Carmélites (1957) de Francis Poulenc dans la mise en scène de Mireille Delunsch. Cette production est typique de ce que peut proposer un théâtre de répertoire : un spectacle reproductible à l’envie et probablement indémodable tant il se montre fidèle aux moindres didascalies et intentions du livret. Mais au delà de l’illustration de l’intrigue stricto sensu, une mise en scène doit aussi être une vision de l’œuvre … la littéralité de celle présentée ici explique probablement ma sècheresse oculaire. 

Tout est très bien fait dans le travail soigné de Mireille Delunsch qui, sauf erreur, passait pour la première fois du chant à la mise en scène avec cette production. L’attention particulière portée à la lumière notamment, proche d’un éclairage à la bougie, re-crée une ambiance naturaliste en parfaite adéquation avec les images très figuratives composées par la metteuse en scène. Le grand fauteuil de la Supérieure du Carmel est bien là ; les draps sont religieusement repassés par Soeur Constance ; le conservateur du Mobilier National ne trouverait rien à redire sur la méridienne du Marquis de la Force ou les boiseries de son cabinet. Une rangée de bougies est peut être la seule fantaisie visuelle et au delà, le seul pas vers l’ébauche de construction d’une aura à ce récit, lorsqu’elle vient remplacer les grilles du parloir accueillant Soeur Blanche de l’Agonie du Christ et son frère, le Chevalier de la Force venant la supplier de quitter le couvent, menacé par la mauvaise tournure que prend alors la Révolution Française.

Cette scène, la plus habitée et la plus réfléchie, est étrangement la plus forte du spectacle. Celles, habituellement plus « éprouvantes », que sont la mort de Mme de Croissy et la scène finale dans laquelle les Carmélites, ayant entonné un Salve Regina passent toutes, les unes après les autres à la guillotine, sont tellement prises au pied de la lettre que même la force de la musique ne suffit plus à leur rendre l’intensité dramatique dont elles devraient être chargées. Dans la première, tout est affreusement surjoué ; dans la seconde, l’absence de toute vision, au delà de la froide et presque détachée description de la situation, empêche l’émotion de naitre : la scène se vide, Blanche rejoint ses soeurs au dernier moment : juste à temps pour illuminer le visage de Constance au pied de l’échafaud qu’on a bien pris soin de faire traverser le plateau … mais au delà rien, pas d’image forte, pas de transcendance de la scène ni de transfiguration du personnage de Blanche alors que tout le récit n’a servi qu’à annoncer et préparer ce moment. Sûrement, certains s’en contenteront : ceux qui hurlent au diktat des metteurs en scène. Alors qu’en creux, cette production souligne ironiquement la plus value de la vision d’un vrai metteur en scène : avec un parti pris (ce qui ne veut pas obligatoirement dire transposition sur la Lune ou chez les talibans, pour reprendre les caricatures lancées par les accusateurs cités précédemment), avec un point de vue et un angle de vue. Dans le cas de cette production, la mise en scène satisfait ceux qui écoutent avec les yeux par les superbes images qu’elle distille mais au delà du visuel, il n’y a rien.

Musicalement, nous n’insisterons pas sur le choix surprenant de Mireille Delunsch de se distribuer en Mme de Croissy, rôle dans lequel elle se noie complètement entre surenchère gestuelle autour de la vieillesse du personnage et de son agonie et vaines tentatives de pousser sa voix au delà de la fosse. Nous n’insisterons pas davantage sur l’ombre naufragée de Patrizia Ciofi, triste Mme Lidoine. Mieux vaut se focaliser sur l’excellente Anne Catherine Gillet qui construit une Blanche attachante et touchante et dont la voix claire se teinte tout autant d’une naïveté angélique que d’une certaine autorité un tantinet capricieuse illustrant la complexité psychologique du personnage laissée en jachère par la mise en scène. Dans son sacrifice final, elle apporte cette grandeur et cette simplicité qui font les martyrs. Thomas Bettinger se montre particulièrement convainquant dans le rôle de son frère ; les deux signent la plus belle scène de la soirée. Marie-André Bouchard Lesieur confirme les espoirs prometteurs qu’elle a déjà pu susciter par ailleurs ; sa projection sans faille et l’expression d’une autorité à la fois maternelle et hiérarchique, font de sa Mère Marie de l’Incarnation un des personnages les plus forts de cette reprise. Emmanuel Vuillaume, au pupitre, s’empare quant à lui pleinement de la partition. Palliant au manque de théâtre sur le plateau, il sait porter l’intrigue et diversifier les ambiances tout en conservant le côté impressionniste de la musique de Poulenc. L’orchestre, tout comme le chœur des Carmélites, se montre totalement en phase avec cette direction. Le premier, dont se détache par moment de superbes pupitres de bois et de cuivres, alterne moments de finesse, de sensibilité et d’éloquence avec parfois une légère tendance à prendre le dessus sur le plateau… mais la musique est si belle qu’on ne peut lui en vouloir.

A l’heure des restrictions budgétaires, cette production passe-partout illustre, par ses décors et costumes, qui pourraient être recyclés dans nombre d’autres oeuvres, les économies potentielles au sein d’un théâtre : combien l’Opéra compte t’il de scènes de couvent ou cloitres de tout genre (ne serait ce que chez Verdi !) ? Ce mur de briques omniprésent ne pourrait-il pas devenir le mur du château d’un futur Don Quichotte ? On peut en dire autant de la superbe redingote du Chevalier… autant d’éléments de décor et de costumes que l’opéra et sa machinerie dispendieuse re-fabriquent pourtant à l’infini au gré des inspirations des metteurs en scène avec l’impact financier et écologique que cela suppose. Dans le cas présent, tout cela ne sert qu’à flatter l’oeil, car au delà, cette mise en scène n’apporte rien ou pas grand chose d’autre qu’une série de tableaux. Une question peut alors se poser : dans un contexte économique difficile, vaut-il mieux une version de concert ou une mise en scène sans âme ? Vous avez quatre heures …


Pour prolonger la lecture ou découvrir l’œuvre …


Dialogues des Carmélites
(Poulenc/Delunsch)
Opéra National de Bordeaux - Gd Théâtre
Jusqu'au 11 juin 2023
Crédit photos : Jef Rabillon

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