JEAN-BAPTISTE, MADELEINE,ARMANDE ET LES AUTRES … restés sur le bord du chemin

Pour clôturer sa saison Molière, la Comédie-Française propose un nouveau spectacle autour de la vie du « saint patron » de la maison. Avec perspicacité, Julie Deliquet, sollicitée pour l’occasion et familière de ce genre de création sur un matériau littéraire mouvant, évite l’écueil d’une grande fresque biographique « à la Mnouchkine » et braque son projecteur sur une période bien précise : les quelques mois qui suivirent la création de l’Ecole des Femmes (1662). Cette pièce fut une petite déflagration dans le paysage dramatique (et néanmoins théâtral – clin d’oeil !) de l’époque avec pour réactions : malaises de prudes endimanchées, hauts cris à l’immoralité et virulents pamphlets de diverses cabales. Molière y répondra par la Critique de l’École des Femmes (1663) et l’Impromptu de Versailles (1663). C’est en partant de ces trois pièces que Julie Deliquet écrit un spectacle centré sur la troupe de Molière (et du « français ») dont la greffe prend moins cependant moins bien que son excellente adaptation de Fanny et Alexandre.

Dans cette « pièce-hommage », Julie Deliquet prend le parti pris essentiel et vivifiant de descendre le buste de Molière de son socle. Elle fait ainsi machine arrière et re-transforme le génie en Jean Baptiste tout à la fois mari, écrivain, comédien, metteur en scène et chef de troupe. S’attachant à qualifier chacune de ses casquettes (dur, talentueux, génial, bouillonnant, attentif pourrait-on résumer), elle nous montre comment l’homme et non plus l’écrasante personnalité que l’avenir a fait de lui, tâche de maintenir l’équilibre de son petit monde (famille et troupe ne semblent faire qu’un et vivent sous le même toit) pour servir au mieux son art et ses écrits. Quitte à le faire descendre de son piédestal, elle enfonce le clou en faisant le faisant directement argumenter sur son seul objectif : caricaturer les traits de caractère ridicules de l’époque pour faire rire sur scène.

Qu’importe de vouloir cartographier, analyser ou corriger les errances du siècle ! Qu’importe de savoir si la comédie est un genre plus ou moins noble que la tragédie et, avec cette interrogation, de statuer sur l’importance à donner aux avis de tous ceux qui n’y connaissent rien quand bien même leurs diatribes sont reprises par tous et font foi ! L’important est de faire du théâtre, de montrer la réalité et non plus les atermoiements des dieux, et surtout de faire rire le public. Molière misogyne ? Molière sociologue ? Molière cocu imaginaire ou amant magnifique ? To be or not to be ? Julie Deliquet semble nous dire (et nous la suivons totalement dans cette voie) : « on s’en fout ! ». L’important dans les textes de Molière est la chose théâtrale qui en ressort. Clément Besson s’emploie à merveille à incarner ce personnage qui bouffe la vie avec une énergie incroyable. Son maquillage rappelle immanquablement le visage gravé dans l’inconscient théâtral collectif de l’inoubliable Philippe Caubère, le Molière du film culte d’Ariane Mnouchkine. Porteur de la même fougue, l’acteur s’y montre à la fois très drôle (il porte au plus haut l’art de la comédie burlesque dans la grande scène d’Arnolphe et Angélique de l’Ecole des Femmes, très finement intégrée dans le texte), vibrant, sincère, passionné, survolté et cruellement tiraillé entre ce qu’il voudrait faire (porté par son génie créatif), ce qu’il peut faire (tenu par les impératifs budgétaires et humains de la vie d’une troupe) et ce qu’il doit faire (contraint de plaire au roi quitte à devoir lui jouer l’après midi même une nouvelle pièce à peine écrite !). 

L’enrobage de son propos est parfaitement crédible et l’on adhère totalement à la vision que propose Julie Deliquet de cette vie de Molière, dont on ne sait finalement pas grand-chose malgré de nombreuses et volumineuses biographies. La première partie décrit donc la vie banale des comédiens :  exaltés quand ils rentrent au logis après la création de l’Ecole des Femmes, moqueurs quand ils partagent quelques ragots, courroucés lors d’une assemblée des sociétaires (clin d’oeil au fonctionnement de l’actuelle Comédie Française quasi-inchangé depuis le XVIIème) ou complices lorsqu’ils partagent leur soirée entre verres de vin et jeux de société. Nous les verrons aussi préparer leur repas ou faire leur lessive, fêter la St Jean dans une très belle scène de groupe… Julie Deliquet nous plonge dans un « théâtre du rien », des petites choses de la vie, du temps qui passe. On ne peut que penser à Tchekhov (d’autant que la fin de la pièce est une citation directe de la Cerisaie) ; mais, sans cette part de nostalgie d’une époque révolue et ce sentiment d’un monde qui se délite qui parcourent l’oeuvre du dramaturge russe, la banalité du quotidien installe sur scène un ronronnement plaisant mais rapidement rendu ennuyeux par l’absence d’aspérité et surtout de finalité ; sans que l’on sache vraiment qui en tenir responsable. 

Le texte ? qui pose pourtant de bonnes questions « méta-théâtrales » mais qui, malgré quelques répliques bien senties et drôles, s’avère assez linéaire et convenu. Les comédiens ? qui réussissent, avec le talent qu’on leur connaît et reconnaît, à créer un ensemble globalement homogène (chacun restant, peut-on dire trivialement, à sa place voire trop en retrait pour les immenses Florence Viala/Madeleine Béjart et Elsa Lepoivre /la Du Parc) mais qui, à trop vouloir donner une impression d’improvisation sur un texte très écrit (et ce travers est frappant dans le second acte reprenant une grande partie de l’Impromptu de Versailles), finissent par ôter la spontanéité souhaitée et faire sonner faux certaines répliques. À la metteuse en scène ? qui ne sait peut être pas trop comment dynamiser cette « non-action théâtrale » engoncée dans un décor imposant et sûrement trop naturaliste pour alléger la sauce. Difficile de dire pourquoi, mais la vie peine à s’installer dans cette joyeuse troupe. 

Quelques scènes sont au-delà de ce constat. Magnifiée par un éclairage à la bougie, l’une d’elles, dans laquelle Sébastien Pouderoux/La Grange (dont l’humour pince sans rire est toujours aussi imparable) apprend à la petite Angélique, fille de Du Croisy « il pleut bergère », est éblouissante de tendresse et d’humour et constitue, bien que très courte, une des scènes les plus réussies et marquantes de la pièce.

Désacraliser l’un des auteurs les plus joués dans le monde était une belle et audacieuse idée de la part de Julie Deliquet. Clément Bresson s’investit dans cette mission à 200 %, s’empare du rôle de Molière et porte magistralement ce spectacle qui, se voulant avant tout choral, spontané et naturel, ne réussit pas pleinement à trouver un réel souffle ni un élan collectif capable d’instaurer une complicité suffisante avec le public pour le maintenir en haleine malgré une troupe toujours aussi séduisante et au sommet de son art.

Jean-Baptiste, Madeleine, Armande et les autres ...
(Molière, Deliquet, André, Peyrard)
Comédie Française - Salle richelieu
Jusqu'au 25 juillet 2022 - Reprise prévue oct 22/janv 23
crédit photos Brigitte Enguérand coll CF

Un commentaire

  1. Rabaey dit :

    Grande question chez Moliére mon auteur préféré: était/ il mysogine où non. Je pense qu’il était double et que cette dualité a nourri tous ses personnages de théatre.

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