HAMLET … au pays de Guignol !

Y aller ou ne pas y aller ? Telle est la question que l’on se pose à chaque fois que l’on croise une nouvelle production d’Hamlet, la mythique pièce de Shakespeare. Les sombres brumes du château d’Elseneur confèrent à cette pièce un climat bien particulier et ont souvent tendance à ne pas vouloir se dissiper laissant ce texte, pourtant plein de ressources théâtrales, dans une opacité décevante voir ennuyeuse faute de trop sacraliser le mythe. Curieusement, parmi les quelques Hamlet que j’ai pu voir, celui qui me vient à l’esprit est celui, fort décrié, de Dan Jemmet (j’ai vraiment des gouts bizarres des fois !). Le TNBA proposait récemment la production de Georges Watkins avec la singulière Anne Alvaro dans le rôle titre. Cela pouvait séduire.

D’autant que ce choix d’Anne Alvaro était plus attractif par sa pertinence théâtrale que par une relative audace ou originalité, car confier le rôle d’Hamlet à une femme a déjà été fait et se fera sûrement encore. Androgyne, austère, longiligne, sombre et inquiétante,  Anne Alvaro a tout ce que l’on peut attendre sur le papier pour jouer Hamlet. Là où le train déraille, c’est au moment où le metteur en scène décide de jouer à fond la carte de la folie du personnage qui, rappelons-le, a perdu son père, en voit le fantôme qui lui dit que son oncle (enfin son frère à lui, au fantôme !) l’a tué pour épouser sa mère (enfin sa femme, sa belle-sœur quoi … mais vous suivez un peu ?! faites un effort !). Hamlet, n’a donc de cesse de démasquer les coupables tout en traînant dans le palais sa dépression qui finira par pousser la douce Ophélie délaissée, humiliée, au suicide faute d’obtenir de lui la tendresse amoureuse qu’elle en espère. Pour simplifier la compréhension, le spectre du roi est joué par une fille (Mama Bouras) et les comédiens jouent plusieurs personnages sans avoir suffisamment de moyens pour imposer directement sur le plateau des personnalités différentes … je vous lance la bouée de sauvetage de suite ou j’attends encore un peu ?

Profondément dément, abyssalement dépressif, le Hamlet d’Anne Alvaro accuse (sauf mon respect) rapidement son âge et cette maturité assumée au lieu de celle, plus déconcertante, découverte sur le tas par un jeune homme en plein traumatisme, l’éloigne dangereusement du personnage. Comme un château de cartes, tout l’édifice s’effondre alors faute d’équilibre patent entre les différents rôles. Anne Alvaro habite ses monologues, elle les restitue comme de passionnants exercices de théâtre ; mais au delà, sa présence stoppe net toute vraisemblance dès qu’elle est confrontée à d’autres personnages, notamment Ophélie. Ajoutez à cela, la folie qui s’installe partout dans le château, une hystérie collective et grand guignolesque dont le ton est donné dès le prologue ajouté à la pièce au cours duquel les soldats, les premiers à voir le fantôme de Hamlet Senior, défilent de manière loufoque sur un fond de rock tonitruant … Qu’on soit d’accord ça ne sont ni le rock ni la transposition dans les années 60 qui dérangent, l’opéra m’a habitué à bien pire, mais bien l’hystérie ininterrompue de la mise en scène outrancièrement sexe drogue et rock ‘n’ roll. Chaque action est poussée vers un comique flirtant dangereusement avec le lourdingue, ruinant les scènes sérieuses et les bonnes idées comme dans la confrontation entre Hamlet et le spectre. L’idée était pourtant bonne, pour souligner la folie du personnage, de lui faire dire le texte du spectre comme une projection mentale de sa paranoïa ; mais la voix d’outre-tombe, dont use la comédienne pour déclamer le texte, qui aurait fonctionné hors de ce contexte parodique, déclenche davantage le fou rire face au grottesque de la situation que l’effroi face à la douleur et au sixième sens de ce personnage extra-terrestre.

Dans tout ce ramdam, on perd le fil de l’histoire ; on perd le lien avec les personnages ; on perd l’envie de s’accrocher au train pour finalement le laisser filer, je l’avoue, en sautant du wagon encore en mouvement, dès le salutaire « entracte » durant lequel Claudius, le roi meurtrier (Gérard Watkins), décidément inépuisable, se lance à chanter des standards américains. Pour ajouter un peu de lourdeur à cette production kitsch dans ce que le kitsch peut avoir de pire, Georges Watkins propose sa traduction  du texte : un style poétique il est vrai, pas dénué de quelques belles lignes et de justesse, mais affreusement maniéré à vouloir parodier le style fleuri de Shakespeare : s’enchaînent alors les circonvolutions et d’interminables périphrases ampoulées … comme autant de coups de frein à la fluidité de l’action et à l’intelligibilité du texte, comme autant de couches de beurre et de crème sur un amuse bouche gastronomique.

Cet Hamlet, signé Georges Watkins, ennuie et agace par l’excès dont il fait preuve. Il perd le spectateur à vouloir trop en faire, trop en dire, trop en montrer et au final sabote cette pièce mythique pour en faire une parodie grotesque qui pourrait être amusante une petite demi-heure mais qui devient, au-delà de trois heures, une véritable torture. Trop c’est trop !

Hamlet
Shakespeare/Watkins
TNBA jusqu'au 8 avril 2022
Crédits Photos C Raynaud de Lage P Planchenault 

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