D’où rayonne la nuit … lumineux impromptu

Alors que la salle Richelieu et le Vieux Colombier se partagent les grands chefs-d’œuvre de Molière (400 ans déjà), le Studio Théâtre de la Comédie Française accueille durant cette saison exceptionnelle (mais affichant déjà quasi-complet sur toutes les dates) des créations en marge de cet anniversaire. D’où Rayonne la Nuit inaugure cette série de regards croisés, d’échos et d’hommages. Sur commande d’Éric Ruf, administrateur de la troupe, Yoann Gasiorowski a été chargé de créer un petit format musical autour de la relation entre les « deux Baptiste », Molière et Lully. Quoi de plus pertinent qu’un impromptu, exercice de théâtre dans le théâtre ?

Avouant d’emblée sa mé-culture dans le domaine de la musique baroque, Yoann Gasiorowski a décidé d’écrire un texte tout en spontanéité (laissant place à quelques moments d’improvisation ?) sur le modèle de l’Impromptu de Versailles (1663)  et propose avec D’où rayonne la nuit … de montrer les comédiens de la Comédie-Française dans leur laboratoire de création, de rendre floue les limites entre acteurs et personnages, de faire un parallèle entre la création de cette commande de l’administrateur et celles (parfois express : 5 jours de délai pour le Mariage Forcé) des comédies ballets, genre nouveau inventé par Molière et Lully pour satisfaire les plaisirs du roi et faire rayonner sa grandeur dans le faste des fêtes de Versailles. De la même manière que Molière, Lully et le grand Louis devenaient comédiens ou danseurs, Elsa  Lepoivre, Serge Bagdassarian, Yoann Gasirowski, Birane Ba, Elissa Alloula et Claïna Clavaron racontent cette fructueuse et ambivalente collaboration des deux ba(rock) stars de la vie à la cour du Roy en devenant à leurs tours comédiens et chanteurs.

A travers un texte mêlant langage « courant » et vocabulaire, plus châtié, du Grand siècle, à travers une chanson populaire devenant soudain bouleversant lamento soutenu par une viole de gambe et un théorbe, la troupe rivalise d’ingéniosité, dans un décor bric-à-brac (on adore le lustre à papilles dans la caisse en bois), pour habiller et donner vie à leurs personnages. Une perruque échevelée pour Birane Ba (Molière), une grande robe pour Serge Bagdassarian devenant divine cantatrice (« c’est baroque, j’adore ! »), des coups d’archers et quelques hochements de tête, et voiàa la troupe, assise sur un coffre, embarquée pour un long voyage en chariot dans le froid de l’hiver (ingénieux prétexte pour intégrer l’air des Tremblant extrait d’Isis, toujours de Monsieur Lully).

Loin d’être uniquement instructif et pédagogique, le spectacle amuse et émeut sur le rythme endiablé des idées et anecdotes qui fusent lors d’une séance de travail à la table. Dans cette joyeuse frénésie, le délicat voile qui passe dans les yeux d’Elsa Lepoivre au moment de l’évocation de la mort de Madeleine Béjart, son personnage, les regards bienveillants et affectueux qu’elle porte sur Claïna Clavaron, interprétant sa fille Armande, les yeux pleins d’étoiles de Birane Ba écoutant le flow chantant d’Elissa Alloula, sont autant de détails touchants que l’on se plait à surprendre. Cette connivence, que l’on avait déjà trouvée dans Mais quelle comédie !, passe la rampe et saisit le public qui devient alors immédiatement complice de cette fausse répétition. Si certains passages pourront relever pour certains d’un registre trop scolaire, le talent des comédiens fait rapidement oublier ce coté leçon de choses et l’on prend un infini plaisir à suivre cette Masterclass mouvante qui oscille entre cours d' »Histoire de la musique pour les nuls » et leçon de théâtre de haut vol. Tous sont exceptionnels : Serge Bagdassarian, d’une drôlerie douce amère, est un modèle de simplicité et compose (comme toujours, l’air de rien) un incroyable personnage, Elsa Lepoivre bouleverse sans avoir à remuer le petit doigt, Birane Ba insuffle une énergie folle dopé par Elissa Alloula, Lully éblouissant, enfin Claïna Clavaron, rayonne de beauté et de naturel tout en dévoilant un beau grain de voix. Yoann Gasiorowski, maître d’œuvre, se taille un rôle d’une grande justesse : metteur en scène et commentateur à la fois dans et hors du récit, jouant avec des approximations sur les dates heureusement reprises par « ses » comédiens plus au faite du sujet (un second degré amusant et efficace pour détendre le ton de cette évocation d’un épisode pourtant très sérieux de l’histoire de la musique qui aboutira à la naissance de la tragédie lyrique, fleuron de l’opéra français – et à la brouille entre l’écrivain et le musicien) ; l’occasion de souligner la finesse du travail musical tant dans la recherche que dans l’interprétation.

Numéro théâtral et musical particulièrement réussi, D’où rayonne la nuit confirme les multiples talents de Yoann Gasiorowski et offre dans le cadre resserré du Studio Théâtre l’occasion d’approcher au plus près ces comédiens d’une envoûtante beauté. Une vraie bulle de bonheur permettant de conclure avec les deux Baptiste Ne songeons qu’à nous réjouir, la grande affaire et le plaisir. Et quel plaisir !

D'où rayonne la nuit ...
Yoann Gasiorowski
Comédie Française - Studio
Jusqu'au 6 mars 2022
Crédit Photos Vincent Pontet coll CF

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