L’Heureux Stratagème … Marivaux autrement !

Le hasard des programmations fait parfois se télescoper des productions ; la fatalité des manifestations fait parfois se précipiter le spectateur vers des spectacles non prévus. Ces deux aphorismes se vérifient en ce week end touché par les grèves conjointes de l’Opéra National de Paris et de la Comédie Française responsables d’un chômage technique, je vous rassure vite occupé. Monté l’an passé et repris cette saison au Vieux colombier, le rare (pas tant que çà du coup!) Heureux Stratagème de Marivaux est présenté dans une mise en scène de Ladislas Chollat au Théâtre Edouard VII. L’occasion de voir sur scène la rare Sylvie Testud et d’aiguiser son sens critique en comparant les deux versions : la découverte de ce texte dans une production très dépouillée (lire >>ici) nous avait laissé une belle impression. Celle si résistera t’elle à une nouvelle version ?

Qu’est-ce donc qu’il s’y passe ?

Dorante est au désespoir ; sa Comtesse s’est entichée de Damis, un chevalier aussi prétentieux que gascon. Arlequin en est tout aussi malade : promis à Lisette, la suivante de la Comtesse, il voit tout espoir de concrétiser ce mariage d’amour si son maitre se  fait souffler la place. Il ne croit pas si bien dire : voilà déjà que Lisette toute convertie à la philosophie hédoniste de sa maitresse fait les yeux doux à Frontin, l’arrogant valet de Damis. Mais la Marquise, maitresse délaissée du petit coq gascon, veut sauver son amour (plus le propre que le véritable d’ailleurs) : elle propose à Dorante de faire croire à leur amoureux respectifs qu’ils entretiennent une liaison. C’est en attisant la jalousie de la Comtesse que la Marquise espère la faire retourner vers Dorante et récupérer Damis. L’affaire se poursuit ainsi, entrainant les domestiques dans le sillage de leurs maitres… jusqu’à la signature du contrat de mariage apporté par la Marquise ; que la comtesse signe à contre coeur. Mais comme toujours, tout finit apparemment bien : le contrat engageait Dorante et la Comtesse, rassurée par l’ardeur mise par son amant retrouvé à lui déclarer son amour. Damis, répudié, se retrouve seul tandis que les domestiques voient à nouveau le ciel bleu au dessus de leurs coeurs.

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Une appétissante brochette

 Le plateau réunit de jolis noms à la biographie aguicheuse. Outre Sylvie Testud, on retrouve en effet Suzanne Clement, habituée des films de Xavier Dolan, Eric Elmonisno, césarisé dans le biopic sur Gainsbourg, Jérome Robart alias Nicolas Le Floch dans la série TV dérivée des excellents polars XVIIIème de Jean François Parot. La distribution tient ses promesses et ne se montre guère mise en difficulté lorsqu’il s’agit de faire passer la langue de Marivaux au style alambiqué et bien peu familier. Ici, et jusque dans le patois conservé pour le rôle de Blaise, le père de Lisette, la langue est fluide et le discours limpide, gommant le côté artificiel et ânnoné qu’ils peuvent rapidement avoir. Sylvie Testud, rare au théâtre, survole la distribution. Sa Comtesse exacerbe le « féminisime avant l’heure » du texte ; la comédienne lui donne l’audace, l’aplomb et l’insouciance nécessaires à son émancipation (qui ne sera que passagère certes, mais qui aura le mérité d’avoir ébranlé cette petite société que l’oisiveté pousse à explorer dangereusement les recoins de l’Amour). Elle supporte, par la psychologie du personnage, toute l’architecture de la mise en scène. Les seconds rôles viennent ensuite apporter l’élan et l’émotion nécessaires pour faire passer les quelques longueurs (fréquentes chez Marivaux) de la pièce. Roxane Duran exploite toute la richesse du rôle de Lisette : à la fois perroquet du comportement de sa maitresse, mais aussi piquante, malicieuse ou tendrement amoureuse, le spectateur ne peut que tomber sous le charme. Florent Hill apporte à Frontin une personnalité trouble et troublante. Bien sûr, il faudrait ne pas l’aimer car il vient mettre la zizanie entre les domestiques ; mais son coté mauvais garçon séduit immanquablement d’autant que son jeu, très bien dosé, évite toute sortie de route. Simon Thomas est un Arlequin finement interprété : délaissant le côté grande gueule classiquement donné au personnage, le valet est ici sensible et se montre plus fragile face au drame amoureux qu’il subit à cause des revers sentimentaux de son maitre. Loin de se laisser abattre, c’est lui qui secoue Dorante, menant un combat touchant pour sa liberté. Son personnage est donc immédiatement sympathique. La Marquise est une belle femme ambiguë dans ses intentions  (et l’issue de la pièce semble le confirmer) : Suzanne Clément, resplendissante, l’est aussi dans son interprétation qui manque un peu de conviction, de chair et de sentiment. Elle devient alors impossible à cerner et assez abstraite au point qu’on ne comprend pas vraiment ce qu’elle espère de cet heureux stratagème … Jérome Robart et Eric Elmosnino s’excluent de la troupe à force d’en faire trop, chacun dans leur registre ; l’un surjoue le côté fanfaron de Damis au point de le rapprocher d’un personnage de Pagnol ; l’autre reste trop monochrome, ne cesse de pleurnicher et s’emmure dans une passivité ennuyeuse.

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Et si Marivaux était l’ancêtre du boulevard ?

C’est un peu l’idée du metteur en scène. La mise en scène de Ladislas Chollat, décale l’intrigue durant les années folles et semble vouloir montrer ce texte sous un angle plus « libertin » qu’exploration de la carte du tendre. Il tend à montrer que la pièce réunit le classique quatuor : mari, maîtresse, femme, amant. Cet aspect peut se défendre mais aurait pour cela besoin d’une direction d’acteurs plus musclée et d’une accélération du rythme. Le parti pris tourne un peu à vide en effet et la transposition ne va pas au bout de ce qu’elle veut ou aurait pu faire : elle parait, de fait, un peu gratuite. Les personnages et l’intrigue sont traités d’une manière légère (c’est un choix non blâmable), mais pas totalement assumée tant est si bien que l’on a du mal à oublier le coté doux amer de ce chassé croisé amoureux (on n’est quand même pas loin du troublant Cosi Fan Tutte de Mozart dans ce texte) pour donner clairement un coup de barre vers le théâtre de boulevard.

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En résumé

Sylvie Testud et les seconds rôles Roxane Duran, Florent Hill et Simon Thomas dominent la distribution de cette plaisante soirée à laquelle manque toutefois un ton vraiment affirmé dans la mise en scène. Le texte est bien amené, les décors sont superbes mais il manque un parti pris tranché capable de faire basculer la pièce dans une frénésie contagieuse préfigurant les excellentes pièces de boulevard (une idée recevable vers laquelle semble tendre le metteur en scène) et une folie comique capable de faire passer au second plan la part d’amertume qui sous tend, selon moi, tout dénouement heureux dans le théâtre de Marivaux.

L’Heureux Stratagème (Marivaux) – Théâtre Edouard VII – Samedi 21 Décembre 2019

crédit photo Bernard Richebé TH EVII

 

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