Le Misanthrope … dans un claquement de porte

Le Misanthrope de Molière est une pièce complexe : impossible de n’y voir que la caricature d’un homme ridicule dans son excessive franchise quand la satire est aussi édifiante sur l’état moral d’une Cour où règne hypocrisie, fausse dévotion et pédanterie et que les rapports entre les personnages principaux sont beaucoup plus développés que ceux d’une simple farce. C’est aussi une pièce qui peut résonner de manière assez pertinente dans la critique de notre société au sein de laquelle les rapports sont faussés par des smileys aussi enjôleurs que vides de toute sincérité et des pluies de like que tout un chacun distribue ou recherche sans se soucier de savoir s’ils veulent dire quelque chose, la préoccupation étant la visibilité et la piteuse popularité qu’ils permettent d’acquérir. Mais si « ménager chèvre et chou » pouvait se comprendre, voire être excusable,  à la Cour d’un Roi Soleil qui, sur un revirement d’humeur, pouvait envoyer en prison quiconque sortait du rang, cette perversion, omniprésente dans notre société aseptisée, est surement devenue insupportable pour Peter Stein, dont  la mise en scène prend délibérément le parti du héros en proposant pour Lambert Wilson, un Alceste d’un noir profond , des bottes aux pointes de sa longue perruque bouclée.

L’histoire 

Alceste a un défaut : il ne supporte pas le système dans lequel il vit et ne voit dans le « beau monde » qu’il fréquente qu’hypocrisie, trahison et fourberie. Cette quête de franchise pourrait paraitre honorable et passer pour un signe de lucidité dans un microcosme où personne n’ose dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Sauf qu’à cette attitude de sempiternel déçu de la société, le malheureux ajoute un tempérament excessif, limite violent et quasi-hystérique ; l’exemple, rapidement donné étant la crise faite à Oronte, lui demandant son avis sur un sonnet qu’il a écrit,  pour ne point avoir à démordre du fait que son poème est nul et que l’on devrait se pendre plutôt que de céder au besoin, aussi irrépréssible soit-il d’écrire pareille merde ! Son ami Philinte, tout aussi  lucide sur les faiblesses des us de l’époque et de l’homme en général, mais beaucoup plus fataliste et pondéré, tente de le raisonner mais sans grand succès … Allez savoir pourquoi, Alceste s’est, en plus, mis en tête d’être aimé de Célimène, une jeune veuve, qui trouve en tenant salon chez elle, l’occasion de vivre enfin sa jeunesse en flirtant et médisant de tout le monde avec toute une société de petits marquis ronronnant à ses pieds. Quand, à la faveur d’une manigance de la fausse prude et jalouse Arnisoé, le fond de la pensée de Célimène sur tous ses prétendants éclate au grand jour, Alceste y voit l’occasion de poser un ultimatum à l’objet de son coeur. Face à la brutalité de l’amour de ce curieux personnage, la jeune fille, poussée dans ses derniers retranchements, choisit toutefois de dire « non » … et notre atrabilaire amoureux, ayant au passage perdu son affaire en justice alors qu’il était dans son bon droit et essuyé le refus d’Eliante, cousine de Célimène, à qui il propose son coeur en second choix, décide de se retirer dans un endroit isolé du monde pour fuir cette société corrompue qu’il vomit.

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Révérences …

Pour tout amateur de théâtre classique bercé dans le conformisme, la mise en scène de Peter Stein est un véritable régal. Surement lassé des modes de son siècle et des productions théâtrales incluant vidéo, performances et autres artifices, il recentre sa proposition sur une vision d’un académisme absolu, limite dérangeant tant il sent la naphtaline s’il faut dire les choses avec franchise. De ce classicisme, il faut toutefois saluer un travail exemplaire sur l’alexandrin qui coule, gouleyant et savoureux, faisant résonner les piques acerbes d’un Alceste à l’humour piquant bien trempé et les saillies lapidaires de Célimène, d’Arsinoe et des petits marquis faisant et défaisant la réputation des pantins de la Cour. Le décor, simple, est une galerie aux boiseries et miroirs classiques, de belle facture et n’a pour seul défaut que celui de limiter des entrée/sorties par cour ou jardin. Les costumes, somptueux pour qui aime Molière dans son jus, opposent le grand monde, coloré et doublé de riche dentelle et Alceste, noir des pieds jusqu’à la tête hormis ses rubans verts mentionnés dans le texte.

Alceste est le joyau de la production. Il fait l’objet d’une attention plus que soigneuse de la part du metteur en scène qui taille sur mesure le rôle pour un Lambert Wilson survolté à en juger par le nombre d’aller et venues qu’il fait dans cette longiligne galerie. Sa sauvagerie dans le dégout de son siècle est pleine d’élégance . Excessive assurément, cette véhémence frisant par moment la folie, rend le personnage émouvant et permet de mieux comprendre, à défaut d’excuser, son comportement odieux dans les dernières scènes tout comme son aveuglement justifiant le parti pris du metteur en scène dont Alceste semble bien être un prolongement direct tant Peter Stein se défend de le tourner en ridicule axant plutôt son tir à bout portant sur les perfidies des autres personnages. Effaçant son intégrisme amoureux et l’égocentrisme de la relation qu’il envisage, la mise en scène rend ardent l’amour que Lambert Wilson, Alceste torturé, dévoré par un feu qu’il n’arrive pas plus à contenir qu’il ne le comprend, presque touchant dans ses élans de héros romantique.

L’image finale du spectacle est l’élément fort, capable de faire oublier quelques longueurs et platitudes. Tandis qu’Alceste « trahi de toute part, accablé d’injustice » annonce son désir de se retirer dans un endroit éloigné, le décor s’ouvre et disparait laissant la scène vide avec une porte « SORTIE » dont le cadre diffuse  une lumière chaude. C’est là l’exil salutaire d’Alceste qui, en sortant, claque derrière lui cette porte dans un grand fracas, stoppant net l’élan salvateur de son fidèle ami Philinte : sa décision irrévocable. L’effet est saisissant ! Faut-il y voir la lassitude du metteur en scène face à l’évolution contemporaine du théâtre ou plus globalement un pied de nez au grand mensonge qu’est le plateau, soulignant que la Vérité est ailleurs ?

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… et coups d’épée !

Mais à avoir trop voulu défendre son « double », le metteur en scène en a carrément délaissé les autres personnages ; en particulier celui de Célimène, interprété par une Pauline Cheviller en pilotage automatique, tentant d’exister face à la tornade noire qui phagocyte tout le plateau de sa présence. Ce laxisme dans la direction d’acteur est un gros préjudice pour la pièce qui repose en grande partie sur la complexité du personnage de Célimène, omniprésente sur scène. Alceste est en effet assez basique dans son fonctionnement ; pour cette jeune veuvede 20 ans qui dans sa nouvelle vie peut avoir l’espoir d’exister pleinement après son premier mariage surement arrangé , il en va autrement. Elle peut offrir de multiples facettes dont aucune n’est exploitée ici, la coquette se contentant de jouer les jeunes filles futiles et superficielles. Son jeu trouble, révélé lors de la scène des lettres lui redonne un peu de consistance mais à aucun moment auparavant son rôle, que l’on aurait aimé proche de celui d’une Merteuil suffisamment manipulatrice pour se faire une place respectée mais pas encore assez aigrie et perverse pour être détestable, ne quitte un registre assez scolaire et sans relief. Manon Combe (Eliante) et Brigitte Catillon (Arsinoe) passent, elles aussi, au second plan ; la seconde voyant sa confrontation avec Célimène vidée de tout son piment. Les marquis sont outrancièrement interprétés par Léo Dussolier et Paul Minthe, rarement drôles dans leurs pitreries. Hervé Briaux incarne un Philinte sincère mais pourquoi faut-il toujours faire de ce personnage quelqu’un d’un certain âge comme si l’expérience plus que le bon sens pouvait justifier la lucide modération et le tempérament philosophe du rôle ?

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Pour conclure,

Dominé par l’interprétation flamboyante de Lambert Wilson, ce Misanthrope souffre d’un déséquilibre majeur lié à la mise en jachère des autres rôles et d’une vision bien trop muséale pour supporter sur la durée le parti pris de mise en scène bien ténu choisi par Peter Stein. Si le texte est parfaitement rendu, certaines scènes manquent cependant de corps, d’autres de drôlerie. La dernière, très réussie visuellement, suffit-elle pour rattraper le doux ronronnement des cinq actes qui paradoxalement s’enchaînent vite mais non sans générer une certaine torpeur ? Rien n’est moins sur … son effet en reste toutefois saisissant. La Comédie Française reprend sa dernière production de la pièce pour sa fin de saison : un exercice intéressant sera la comparaison des points de vue de deux metteurs en scène que deux générations séparent. (voir >> ici)

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Le Misanthrope (Molière) – Théâtre Libre Comédia – Samedi 27 Avril 2019

Crédit photos © Svend Andersen

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