Bérénice … le mot de la fin !

Lorsque Racine écrit Bérénice en 1670, il se pourrait bien qu’il ait dans l’idée de rappeler à son bon souverain toute la grandeur du choix (certes téléguidé par sa mère, Anne d’Autriche et son mentor, le cardinal Mazarin) de renoncer à son premier amour, Marie Mancini, nièce du cardinal au profit de l’Infante d’Espagne. Nul doute qu’il vit aussi, dans le sujet de cette page de l’histoire romaine, une occasion de pousser la tragédie classique dans des recoins (non) dramatiques inexplorés, et de rivaliser avec la tragédie Tite et Bérénice qu’écrivait au même moment son vieux rival Corneille. Autant dire qu’au même titre que Phèdre, autre chef d’oeuvre explorant, par d’autres mécanismes, les ressorts extrêmes de la tragédie, Bérénice est un Everest pour tout metteur en scène qui se lance à l’affronter. Celie Pauthe, découvre la pièce par le biais d’un court métrage de Marguerite Duras ; c’est son droit. Elle décide donc de la mettre en scène en regard du film Césarée, Cesarea … c’est son choix … hélas !

L’histoire

Titus, reginam Berenicen, cum etiam nuptias pollicitus ferebatur, statim ab Urbe dimisit invitus invitam.

Racine, dans sa préface, décrit en une phrase tout le propos de sa pièce. Une « non action » assumée en 5 actes et 1506 vers. Titus, nouvel Empereur de Rome, aime Bérénice, Reine de Césarée (Palestine) et est aimée d’elle. Hélas ! Rome n’aime pas les Reines et la loi romaine n’aime pas les étrangères. Deux bonnes raisons pour que Titus, optant pour son devoir envers Rome, n’ait d’autre choix que de renoncer à son amour pour Bérénice et la faire reconduire en Palestine par Antiochus, son fidèle bras droit, au lieu de l’épouser. Celui-ci croit un instant pouvoir profiter de la brèche et déclarer son amour à Bérénice. Hélas ! comprenant après les menaces de suicide des deux héros, que leur amour restera plus fort que tout éloignement, il finit par leur avouer que seule la mort mettra fin à ses souffrances liées à  amour déçu. Face à cette noble réaction, les deux monarques décident de mettre leur rang au dessus de leurs intérêts personnels : Bérénice retourne dans son royaume et Titus monte sur le trône.

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Révérences …

Aussi sobre que l’intrigue, la scénographie de Guillaume Delaveau, plante un décor élégant et matérialise en quelques sorte les enjeux de la pièce : un canapé austère et une table basse (très Elle Déco !! … merci Habitat ?) flanqué d’un pan de rideaux évoquant une colonne,  symbolise Rome et sa rigueur. L’ « Ailleurs », qui essaie de se faire une place chez l’empereur, est montré sur scène de manière très graphique, par du sable blanc qui commence à grignoter le mobilier. La démarche aurait pu être encore plus radicale (et plus technique à mettre en oeuvre j’avoue) en faisant évoluer cette phagocytose, comme un sablier géant, transformant inexorablement les appartements romains de Bérénice en dunes de Judée. Mais je m’égare : il fallait rester sobre et pas faire un remake des Dix Commandements ! Ce décor donc, est d’une beauté incroyable et se suffit à lui seul quand on le découvre en arrivant dans la salle tellement il dit tout…

CDN Besançon Saison 2017-18
"Bérenice" de Jean Racine
Mise en Scène Célie Pauthe
Avec

… et coups d’épée ! 

et pourtant … la densité du discours s’arrête sur cette petite dune foulée par les gros sabots d’Antiochus qui a la lourde tâche d’entamer et clôturer la pièce. Comment Célie Pauthe a t’elle pu à ce point douter de la langue de Racine pour se croire obligée d’y coller ce mauvais court métrage de Marguerite Duras ? qu’apporte cette errance visuelle dans les jardins de Tuileries ? N’est ce pas évident à simplement l’écouter que le rythme saccadé de Duras se heurte et coupe celui, bien plus fluide de Racine. Cette incohérence de flux aurait peut être été plus évidente pour la metteur en scène si elle et ses comédiens avaient été plus attentifs à la manière de dire le texte et à celle de s’approprier l’alexandrin racinien. Mélodie Richard (Bérénice) est surement, de toute la distribution, celle qui le respecte davantage ; pour les autres et pour certains plus encore, la diction est hachée, rabâchée comme on récite ces tirades apprises par coeur sans les comprendre au collège, vidée de tout sens, dépourvue de tout style.

D’interprétation il y en a peu ou pas … Clément Bresson est un Titus brut de décoffrage, sans subtilité et semblant davantage sortir d’un corps de garde que d’une lignée impériale. Ses hésitations ne sont que brusquerie dépourvue de toute sensibilité si bien qu’il est bien difficile de le croire rongé entre l’amour ou la raison d’état et dévasté par la perte assurée de celle qui lui est le plus cher. Mounir Margoum n’est guère plus convaincant dans le rôle d’Antiochus et semble complètement livré à lui même. Ce constat est en fait le gros problème de cette production : l’absence de direction d’acteur et une seule intention si ce n’est celle de plaquer la poésie de Duras sur celle de Racine, épreuve aussi incongrue et vouée à l’échec que de vouloir faire rentrer le pied d’un catcheur dans le chausson d’une ballerine. Arsace est joué par une femme, Marie Fortuit, pourquoi ? … pourquoi pas ? … sa tendance à rendre le rôle « comique » est en tout cas, homme ou femme, totalement hors sujet ; tout comme le ton très méditerranéen dans l’esprit de Mahshad Mokhberi en Phénice, la confidente de Bérénice, bien trop familière pour que l’on s’imagine être en présence d’une reine et pas dans un épisode de Premiers Baisers ! Mélanie Richard s’en sort un peu mieux mais reste aussi froide qu’un glaçon, ce qui en plein désert de sable est assez déconcertant. On retiendra la partie traduite en hébreux, incompréhensible bien sur mais laissant imaginer la malheureuse reine à bout de force, retrouvant instinctivement sa langue maternelle.

Bref, il ne se passe rien et cet électro-encéphalogramme plat est encore allongé par les intermèdes de ciné-club entre chaque acte jusqu’au sacrilège suprême : le massacre du dernier vers dont les deux derniers pieds affectés à Antiochus sont coupés du reste de l’hémistiche par une nouvelle séance de vidéo achevant de dénaturer ce dernier et sublime effet de Racine.

                                                        BERENICE (…) À Titus.

                                          Pour la dernière fois, adieu, Seigneur

                                                        ANTIOCHUS

                                                                                                            … Hélas !

CDN Besançon Saison 2017-18
"Bérenice" de Jean Racine
Mise en Scène Célie Pauthe

Pour conclure, 

Pourquoi se lancer dans Racine, qui plus est dans Bérénice, quand on semble découvrir presque par hasard l’auteur, en tout cas par des chemins détournés et quand on n’a pas confiance en son seul génie du texte et de la dramaturgie. S’il arrive à écrire avec rien une pièce qui dit tout, Célie Pauthe réussit particulièrement bien à nous en fair sentir l’absence totale d’action. Elle plombe aussi la transmission de l’affect par une mise en scène insipide et parasitée par son obsession contre-productive pour Marguerite Duras. Vidé de toute action et de toute âme, le spectacle s’enlise dans le sable qu’elle répand sur scène… deux heures vingt d’ennui et de révolte intérieure ! Hélas !

CDN Besançon Saison 2017-18
"Bérenice" de Jean Racine
Mise en Scène Célie Pauthe
Avec

Bérénice (Racine) – TNBA – Salle Vitez – Vendredi 12 avril 2019

Photo © Elizabeth Carecchio

 

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