Haute surveillance …sublimes voyous

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L’oeuvre de Jean Genet est subversive, peuplée de voyous fascinants, portés aux portes de dérangeants paradis érotiques par la sacralisation de leurs méfaits et la transformation du cachot en un sanctuaire proche d’un lupanar pompéien. Cédric Gourmelon, spécialiste du genre, s’empare de Haute Surveillance, courte pièce incandescente dont la première version date de 1942 (l’auteur était alors à la maison d’arrêt de Fresnes) et remaniée jusqu’en 1985. L’oeuvre n’est pas facile mais le Studio du Carousel du Louvre offre le cadre idéal pour ce huis clos sous tension et la distribution proposée par la Comédie Française est alléchante … rendez vous directement en prison, ne passez pas par la case départ et oubliez vos 20.000 francs !

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Yeux Verts est condamné à mort pour meurtre ce qui lui vaut une aura quasi divine dans la prison ; il est d’ailleurs presque aussi respectable que Boule de neige, le « nègre » qui tient toute cette pègre dans sa main. Maurice, jeune délinquant et Lefranc, petit voyou, partagent sa cellule et veulent se partager l’ombre rayonnante du caïd. Si le prétexte avoué est de récupérer sa femme, c’est surtout les fantasmes qu’ils ont tout deux développés sur Yeux verts qui sont la cause du drame qui va se jouer dans la cellule et qui aboutit comme toute crise passionnelle à un meurtre. Lefranc étrangle Maurice, pensant par son crime égaler Yeux Verts et obtenir ses faveurs, son admiration, son amour, la possibilité de suivre son idole sous la guillotine …(?) … mais un vrai criminel se reconnait à travers des actes non nécessaires et non motivés par autre chose que par la nature propre de malfrat de celui qui les commet; ce crime là ne vaut donc rien, si ce n’est le mépris et le rejet de celui pour qui il a été commis. Le mâton qui a surveillé toute la scène en récupère les miettes… et potentiellement la femme du détenu.

20170906-24VP-e1505916173769Résumer ce texte assez inclassable, difficile même à l’écouter, n’est pas aisé car plus que dans la trame narrative, la force des mots se dessine entre les lignes. La mise en scène très graphique et un peu trop clinique de Cédric Gourmelon n’aide pas à saisir toutes les subtilités du texte et en gomme un peu la tension qu’on aurait souhaité plus insoutenable. La pièce commence dans une esthétique japonisante sur l’image du gardien qui balaie le sol, recouvert d’une sorte de cendre noire, pour dessiner un carré blanc dans lequel les prisonniers entreront pour ne plus en ressortir. Tout autour, une noirceur mate et profonde rend inutile tout espoir de laisser vagabonder son regard ailleurs que dans la cellule. Le spectateur est piégé et doit être le voyeur obligé de cette étrange histoire. D’abord figés, en ligne dans un rayon de lumière les acteurs débitent froidement leur texte, puis la mécanique des corps se met en marche : et il est beaucoup question de ces corps qui vont se frôler, se défier, se battre, se serrer, se parler bouche contre bouche, se dénuder sans vraiment le faire.  Tournant souvent plus dans un registre de suggestion et d’intellectualisation des situations,  la mise en scène réussit mal à rendre compte de la tension érotique qui pèse entre ces hommes, relevant d’une attirance directe et certaine de Maurice sur Yeux Verts et d’une fascination quasi mystique de Lefranc pour celui dont il rêve d’avoir la carrure. La faute à cette froideur scénique n’est pas imputable aux comédiens qui sont vraiment à la hauteur de la complexité de leurs personnages et livrent des interprétations fortes. Sébastien Pouderoux d’abord !! Sculptural, il porte le spectacle sur ses (larges) épaules. A travers lui, Yeux verts est en effet le fantasme ambulant ; son détachement du monde qu’il va de toute façon quitter (le cou tranché surement) et son allure de colosse impassible renforcent l’envie de le conquérir (de l’égaler) qui entraine ses co-détenus dans une course à la séduction. Durant toute la pièce, il impressionne par son charisme qui se propage dans les moindres recoins de la salle ; le point culminant de son interprétation est surement atteint au moment où il raconte son crime, où il parle de cette fille qu’il a tué. Après cet aveu le personnage est déjà mort ; il est déjà ailleurs et cette soudaine fragilité est magnifiquement traduite par le comédien qui devient alors poète.

ob_40a9b6_haute-2Face à lui Christophe Montenez hérite une nouvelle fois d’un personnage à l’ambiguïté troublante. Son Maurice n’exprime peut être pas aussi intensément son attirance qu’il le devrait … mais montrer brutalement la passion qui le ronge et l’envie physique de ce corps qui l’obsède n’aurait-il pas rendu le personnage moins intrigant ? Dans une certaine retenue, malgré des scènes particulièrement vives et expressives, le personnage qu’il construit se montre fragile, manquant profondément de repères et semblant trouver dans Yeux verts une sorte de mentor vénéré à la fois moralement et physiquement. Car il est bien question de celà ici comme souvent chez Jean Genet :  de cette inversion des rôles, de cette déification du criminel, de l’élévation du meurtrier à l’état de Saint. Christophe Montenez sait apporter à son personnage cette teinte à la fois naïve et terriblement convaincue du novice face à son Dieu. Jérémy Lopez (Lefranc)  joue un personnage plus terre à terre, plus concret : il a l’éducation et a ainsi pu commencer à rentrer dans la peau de Yeux verts en écrivant pour lui des lettres à sa femme. Son interprétation devient rapidement plus nerveuse, plus physique, plus en mouvement que celle des autres. Cette cellule n’est pas assez grande pour lui : à travers Yeux verts, il veut rendre réelle la vie qu’il s’invente : ses faux crimes, ses tatouages au stylo, la veste de Yeux Verts qu’il endosse tout cela doit devenir vrai… Il devient de ce fait évident que l’acte qui va débloquer ce huis clos ne peut venir que de lui qui est le seul personnage capable d’agir. Jérémy Lopez arrive à porter cette tension durant toute la pièce pour finir par exploser et tuer le jeune Maurice dans une scène d’une grande beauté. C’est surement grâce à cette habile mise en scène qui ne montre rien jusqu’au dénouement que cette scène prend toute son ampleur . Pierre-Louis Calixte est un inquiétant gardien, tout aussi fasciné par ses détenus qui font la loi dans la prison. On pourrait le comparer au spectateur bourgeois venant mater incognito ce marasme de mauvais garçons peu fréquentables mais si excitants. Il arrive en tout cas en une courte intervention à caractériser psychologiquement un personnage dont le côté pervers est vite dérangeant …

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Spectacle difficile, porté par des comédiens que seul leur immense talent autorise à dessiner des personnages forts et marquants malgré un texte un peu erratique,  Haute Surveillance laisse sans voix à la fin du spectacle … et le fait d’avoir du mal à en parler n’est jamais bon signe. La mise en scène un peu flottante dans ses intentions est surement la cause de cette hésitation à savoir si l’on a aimé ou pas (mais cette question est-elle utile?). Elle aurait surement gagné à prendre plus parti et à mieux guider le spectateur qui se trouve souvent un peu perdu face à l’immensité des interprétations possibles de  ce texte relevant souvent plus d’une poésie (un peu hermétique) que du théâtre.

Haute Surveillance (Jean Genet) – Comédie Française – Studio – Vendredi 26 OCTOBRE 2017

Crédit Photo Vincent Pontet  (CF coll)

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