Un café avec … Julien Benhamou

François Alu

Une cagette de tomates-cerises et une barquette de framboises sous le bras…c’est à la sortie du marché que Julien Benhamou se présente, simple et décontracté, pour parler de danse mais à travers un oeil un peu particulier. Julien a reçu son premier appareil photo à 13-14 ans et a eu le déclic (je m’étais pourtant dit que je ne ferai pas cette blague facile) : il serait photographe. C’est donc à travers un objectif que nous allons voir la danse, le mouvement et la beauté des corps. Découvert au travers de ses photos de spectacles et des danseurs de l’Opéra de Paris, ce photographe m’a dès le début interpelé par le mouvement qu’il insuffle à ses clichés les rendant d’autant plus réussis que paradoxaux vus qu’ils subliment le mouvement en le figeant. Il paraissait de ce fait important d’éclairer cet étrange phénomène non pour en ternir la magie, car ces photos relèvent pour certaines d’un monde aussi poétique qu’irréel mais plus pour cerner le processus créatif de cet artiste utilisant d’autres artistes pour exprimer son art.

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La découverte de la danse n’est venue que plus tard chez ce jeune photographe d’emblée fasciné par le portrait. A l’issue d’un spectacle à l’Opéra de Paris (Roland Petit – Carmen), il ressort ébloui par l’immense possibilité qu’offrait ce vivier de corps parfaits. Totalement emporté par cette révélation, il contacte Brigitte Lefèvre alors en poste à la direction de la danse à l’Opéra (vous saluerez l’audace !) et obtient un premier sésame pour photographier le Ballet. Ses photos seront relayées par le Ministère de la Culture pour une exposition et de fil en aiguille il se fait un nom dans la photographie de spectacle qui continue à représenter une partie de son travail pour diverses maisons dont l’Opéra de Paris avec qui il entretient un rapport particulier. Son oeil est lui aussi bien particulier dans la photographie de spectacle et c’est ce qu’on aime chez lui. A travers le vocable réducteur de « photographe de spectacle » on pourrait imaginer en effet un résultat qui ne serait « que » des photos de danse : figer une arabesque, capturer un entrechat, montrer les lignes parfaites du corps de ballet dans un ballet blanc de Noureev … Julien va bien au delà et d’ailleurs faire çà ne l’intéresserait pas. Tout en prenant appui sur le travail du chorégraphe, c’est SA vision du ballet qu’il propose créant ainsi son oeuvre propre en utilisant le prétexte de la chorégraphie. Cette mise en abime de l’oeuvre dans l’oeuvre est souvent fascinante parce qu’elle elle débouche toujours sur une vision totalement subjective du spectacle qu’il shoote, une vision toujours vivante, vibrante et bienveillante car on le sent Julien Benhamou est un photographe généreux qui ne cherche pas juste à faire une belle photo. Sa curiosité et sa passion font que si en tant que spectateur il a pu lui arriver de s’embêter en regardant un ballet dès qu’il est dans une salle de spectacle avec un appareil photo il ne s’ennuie jamais et trouve toujours quelque chose à capturer.

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Cette passion créative et cette générosité dont fut teintée notre entretien, on la retrouve dans la manière dont il traite les modèles pour ses travaux personnels, la plus grande partie de son activité. Trouver un modèle n’est pas simple. Fasciné par le corps et le mouvement, Julien avoue préférer travailler avec des artistes qui utilisent leur corps pour véhiculer leur message plus qu’avec des belles gueules dont le métier est justement d’avoir une belle gueule et finalement pas grand chose d’autre à proposer. Il travaille de ce fait bien sur avec des danseurs de manière ponctuelle ou dans des partenariats de plus longue haleine comme avec François Alu ou Aurélien Dougé (on se souvient aussi des superbes clichés de Mathilde Froustey) mais aussi avec des personnalités plus influencées par les arts du cirque comme par exemple la contorsionniste Elena Ramos. Ce qui est important pour lui c’est que partant du projet dont il a quelques lignes en tête, un dialogue permanent et une réflexion menée avec le modèle arrivent à murir la mise en scène, l’angle de vue, la lumière et que chacun, du photographe et du modèle, tombe d’accord sur le rendu final. Cette attention particulière portée au modèle se ressent dans ses photos personnelles bien sûr mais jusque dans ses photos de spectacle où il cherche bien plus à rendre beau le danseur qu’il photographie, qu’à rendre justice à la perfection de son exécution. Ce qu’on aime dans les portraits de Julien c’est le graphisme qu’il apporte à ses modèles féminins avec une attention particulière et singulière au stylisme et sa manière si personnelle de rompre le côté un peu froid qu’aurait cet aspect de photo de mode par un sens du mouvement qui place ses photos dans un état d’apesanteur particulièrement poétique.

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Lorsqu’il photographie les corps masculins ou dans ses photos « moins mises en scène » ce qui frappe et séduit est l’impression de simplicité et de naturel que dégage chaque portrait. Tout à l’air d’avoir été fait sur le vif : c’est d’ailleurs pour lui le plus beau compliment qu’on puisse lui faire (cool je l’ai fait !! voyez que des fois je suis gentil!). Mais toujours cette apesanteur, ce mouvement aérien permanent (jusque dans le thrombinoscope des artistes du Ballet de l’Opéra où il se détourne de l’aspect photo de classe pour capter la musicalité de chacun), cet envol sublimé dans une de ses photos mythiques pour les balletomanes : l’Envol (Beaulac/Alu) .

Et toujours cette question de pourquoi la photo pour un amoureux du corps en mouvement  … ce qui pour moi signe la grandeur d’un danseur c’est la manière dont le geste se poursuit au delà de l’attitude … alors pour expliquer cela c’est un peu compliqué mais en gros c’est un peu comme si a l’issue d’un port de bras le mouvement continuait virtuellement comme les petites étoiles qui prolongent la baguette magique de la gentille fée d’un Disney sirupeux … cela revient un peu  à dire que dans le ballet ce n’est pas forcement le mouvement en lui même qui est beau mais ce qui se passe autour et rejoint mon avis sur la technique qui pour faire un grand danseur doit être bien sur parfaite mais surtout disparaitre afin de transcender le mouvement … après en avoir longuement débattu le travail de Julien illustre un peu ce point de vue.

Le point de départ de ce constat est le travail de Eadweard Muybridge sur la décomposition du mouvement qui a fasciné Julien et fortement orienté sa signature artistique. La photo du mouvement décomposé en séquences permet de voir ce que l’oeil ne voit pas avec très souvent un effet de surprise car à l’arrivée ce qui se passe réellement (capturé par l’appareil) ne correspond pas à ce que l’oeil a perçu. Sur ce constat j’ai alors compris ce qui rendait le travail de Julien si pertinent pour un balletomane … toutes ses photos montrent ce que l’oeil du spectateur ne voit pas mais que son imaginaire perçoit … le photographe est une sorte de magicien qui rend visible ce que dans la réalité nous ne pouvons pas voir. Et qu’est-ce donc qu’une photo réussie si ce n’est une image qui stimule l’imaginaire du spectateur, qui dégage une certaine poésie … c’est surement quelque- chose plus proche de cela qu’un simple rapport à la beauté « primaire » du sujet et c’est ce que recherche (avec succès) ce talentueux photographe.

Cette volonté de transcender la beauté de son modèle le faisant dégager une aura capable à travers la photo de faire rêver le spectateur est ainsi la ligne de conduite de Julien. Cela est tout aussi frappant avec ses nus qui font presque oublier qu’il est question de nudité. Loin de l’imagerie érotique que pourrait dégager ses clichés de corps parfaits, il y a paradoxalement dans son travail une grande pudeur surement liée à la conscience du photographe de la vulnérabilité de son modèle dans cette situation là. A travers des poses toujours aériennes et légères (mais pas d’une grivoise légèreté), il sait parfaitement écarter toute notion charnelle dans la manière dont il présente les corps mais au contraire dégager une impression éthérée, limite asexuée tout en gardant la sensualité d’un corps féminin ou la force d’un corps masculin.

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Toujours à la recherche d’une relation de confiance avec ses modèles, il valide toujours avec eux la photo finale, fruit d’un travail commun, c’est en tout cas ce qui fait pour lui une partie de la réussite du shooting. Cela débouche sur des collaborations régulières et des amitiés prolifiques comme avec François Alu qu’il évoque quand on aborde la question de la lassitude que l’on peut avoir à photographier les mêmes personnes trop souvent. Ces deux là dans 50 ans ils auront encore des idées de photos déjantées et riront ensemble comme aujourd’hui. Julien Benhamou est décidément un photographe qui aime les gens et ça n’est pas pour nous déplaire !

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Julien Benhamou continuera de fournir des visuels pour l’Opéra de Paris et d’autres salles cette saison, continue de livrer des clichés pour la presse comme Elle, Vogue… et a pour projet l’édition d’un livre qui paraitra fin mars.

Son site  vous permettra de continuer à parcourir son oeuvre ainsi que son compte Instagram : benhamoujulien1

Chez ma Belle Mère -Avenue Dausmenil / Paris – Samedi 28 Octobre 2017

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