LA REINE DES NEIGES, LE CONTE OUBLIÉ – Comédie Française

Pour les fêtes de fin d’année, la Comédie Française revient à l’esprit du conte avec la reprise de La Reine des Neiges, le conte oublié, production créée en 2022, Molière 2023 du spectacle Jeune public et (surtout) revanche sur Disney puisque Johanna Boyé construit sa mise en scène autour de la « vraie » histoire écrite par Andersen (1844) qu’elle adapte en collaboration avec Elisabeth Ventura. C’est sur la scène intimiste du Vieux colombier que la délicieuse Danièle Lebrun devient la pétillante (et idéale) grand-mère qui nous entraine dans le monde féerique, dépourvu de tout nappage dégoulinant de bonnes intentions et de guimauve poisseuse de mièvrerie, que va parcourir Gerda à la recherche de son ami Kay ensorcelé par des trolls et enlevé par la Reine des neiges.

Le roi des trolls a décidé de se venger des humains en créant un miroir inversé qui transforme tout reflet en une vision triste et sombre. Mais le miroir se brise et le malheureux Kay en reçoit un éclat dans l’œil et un autre dans le cœur : celui ci se glace et le jeune garçon perd innocence, joie et sensibilité au profit d’une expérience purement froide et mathématique du monde. Un soir qu’il patine sur le lac gelé, il rencontre la Reine des neiges qui, en lui proposant d’y résoudre équations et énigmes, l’entraîne dans son château perdu aux fins fonds de la Laponie. Gerda s’inquiète de cette disparition.

Dans son adaptation plutôt fidèle de l’ambigu conte d’Andersen, Johanna Boyé s’attache à revenir à l’essence du conte, à savoir faire travailler l’imaginaire du spectateur (lecteur) en veillant à suggérer plus qu’illustrer tout ce qui relève de l’étrange et de la féerie dans le parcours initiatique qu’entreprend Gerda en quittant son village pour retrouver son ami. Le point de départ de cette quête se résume en une question que posent les villageois à la jeune fille : Ton ami disparu, tu l’attends ou tu le cherches ?

C’est assurément cette question qui déclenche la transformation de la fillette en une jeune femme, qui s’arme de courage, fait ses choix, grandit, décide d’agir et de se lancer dans le vaste monde en traversant les saisons et des endroits bien étranges.

Le récit oscille entre le temps présent, dans lequel l’attachante Danièle Lebrun raconte l’histoire à ses petits enfants, et celui du conte, tour à tour suspendu quand il s’agit de la captivité de Kay et rythmé par de subtils changements de teintes pour ce qui concerne les étapes du voyage de Gerda. Cette temporalité est matérialisée sur scène dans trois espaces habilement exploités : l’avant scène, dédiée au concret et le plateau scindé lui même en deux espaces superposés ouvrant l’un sur le monde à la fois sombre, terrien et farfelu que traverse Gerda et, l’autre, une niche blanche suspendue au dessus de la scène, sur le palais figé dans la glace de la Reine de neiges.

Elle même semble flotter au dessus du monde, hors du temps ; son personnage est d’ailleurs presque anecdotique dans l’intrigue puisqu’elle sert plus de « passeuse » qu’elle n’intervient activement dans la progression du récit. Suliane Brahim lui donne ce côté immatériel et mystérieux par sa sa voix éthérée reconnaissable entre toutes. Alors que sur le plancher des rennes, la féerie naît d’habiles suggestions visuelles et de situations qui invitent petits et grands à s’émerveiller devant des patineurs qui glissent dans la brume, à rêver devant les aurores boréales ou à trembler à l’orée de la sombre forêt peuplée de trolls hirsutes pas foncièrement méchants mais suffisamment facétieux pour être un peu inquiétants !

Les 6 comédiens se prêtent à un véritable exercice de voltige théâtrale puisque chacun interprète plusieurs personnages allant du ronchon Roi des trolls à un Renne attendrissant en passant par une délirante et hilarante Corneille pour l’exubérant Dominique Parent ou d’un troll virevoltant à la Princesse Lunette pour Suliane Brahim officiant aussi, nous l’avons dit dans le rôle de la Reine des Neiges. Tendre grand-mère, Danièle Lebrun est impayable en troll et un ogre brut de décoffrage !

Le soleil de ce paysage nordique est Claina Clavaron qui rayonne une nouvelle fois, par son plaisir communicatif d’être sur scène, aussi lumineuse en lutin virevoltant, qu’éblouissante Reine d’un été éternel ou sympathique Petite Brigande à l’accoutrement n’étant pas sans évoquer celui des enfants perdus de Peter Pan. Si les tenants et aboutissants du parcours initiatique de Gerda restent un peu flous dans leur progression faite de rencontres avec les habitants complètement barrés de la forêt (on est dans un univers proche de l’absurde d’Alice au pays des merveilles), bémol en partie lié à la coupure de certains éléments du conte d’origine, la mise en scène y inscrit suffisamment de niveaux de lecture pour que petits (et ils étaient nombreux ce soir) et grands y trouvent matière à rire, frissonner, réfléchir parfois et s’émouvoir quand l’amitié sans faille des deux enfants se transforme, par le courage et la fidélité, en un amour sincère entre deux jeunes adultes.

Léa Lopez, très sensible et juvénile dans le rôle de Gerda, et Sefa Yeboah dans celui de Kay interprètent aussi les deux petits enfants à qui la grand mère raconte la légende : cet effet miroir, renforcé par l’évidente intention de ne pas chercher à jouer différemment chacun des deux personnages, n’était pas indispensable mais rajoute du mystère (Est-ce la réalité ? Est-ce un rêve ? Et ce rêve ne serait-il pas l’essence du théâtre ?). Cette mise en abîme s’avère aussi intéressante par rapport au processus d’apprentissage de la vie que sous tendent les contes. Si la noirceur du texte d’Andersen est un peu édulcorée par quelques adaptations et tours de chants (comme quoi on peut difficilement se passer des clés du succès de Disney quand on s attaque à monter un conte sur scène !), cette adaptation a l’avantage d’éviter de botter en touche quand les personnages sont en difficulté ou de d’éviter la facilité de s’en sortir avec une pirouette pour aboutir à un happy end. Ici la fin est heureuse certes, mais le parcours est difficile et le succès vaillamment assuré par l’audace, le courage, l’abnégation et une amitié fidèle !

Mais assez écrit ! Beaucoup d’enfants étaient dans le public, sages et captivés malgré les 1h40 de spectacle sans entracte, et débordants d’enthousiasme à la sortie … cela ne vaut-il pas les meilleures critiques !

EN BREF

  • Une scénographie ingénieuse et une distribution engagée
  • Un retour aux sources et un parfait respect de l’essence même d’un conte
  • Une corneille extralucide
  • Claina Clavaron ou la joie d’être sur scène
  • Des enfants captivés pendant une heure quarante alors ne nous bassinez plus avec le principe que les nouvelles générations ne savent plus rester attentives à des spectacles longs !
La Reine des neiges, le conte oublié 
(Andersen/Boyé)
Comédie Française - Vieux colombier
Jusqu’au 7 janvier 2024
crédits photos C Raynaud de Lage (coll CF) - Augustin Frison Roche (couverture)
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