Trissotin ou Les Femmes Savantes (et au bord de la crise de nerf) !

Misogyne Molière ?! … Peut être un peu mais surement pas autant qu’on le dit ! selon Macha Makeieff dont La Scala – Paris reprend Trissotin ou les Femmes Savantes, il est au contraire très habile pour montrer aux esprits étroits comment le sexe dit faible peut retourner une maison quand il s’agit de revendiquer le droit à l’accès au savoir, à la liberté de choisir son époux et de manière plus générale d’exprimer le désir féminin sous toutes ses formes. La situation de libération des esprits n’est pas si éloignée de la libération sexuelle ; aussi, l’attrait de la metteuse en scène pour la fin des années 60 et leur côté kitch révolutionnaire aidant, c’est au début des seventies (de mille neuf cent du coup pas de pas mille six cent) que se déroule la pièce. Etrange transposition penseront certains, idée de génie pour d’autres … parti pris intrigant en tout cas ! il fallait aller voir çà ! et quel bonne idée ce fut !!

L’histoire

Dans une maison bourgeoise, Henriette annonce à sa soeur ainée Armande son désir d’épouser Clitandre. Sa soeur lui reproche sa vision étriquée de la condition féminine, elle qui aspire à des visées plus nobles : philosophie, sciences ou grammaire. Il faut dire que de la mère Philaminte à la belle soeur Bélise, toutes les filles de la maison, sous couvert du droit des femmes à être instruites, sont tombées sous l’emprise d’un pédant snobinard et fourbe du nom de Trissotin. Leur obsession pour la syntaxe, la rhétorique et l’art poétique est telle que la maitresse de maison décide ce jour de licencier Martine la cuisinière sous le motif d’une maîtrise très aléatoire de la conjugaison et d’un parler plus bourru que celui d’un bourguignon. Véritable gourou de ces dames, Trissotin espère secrètement obtenir, et par n’importe quel moyen, la main d’Henriette et la fortune de la maison. Le destin de la malheureuse prend bien ce chemin tant sa mère soutient ce mariage avec le bel esprit qu’elle vénère. Complètement débordé par cette révolution féministe et se voyant soudain privé de cuisinière, Chrysale, le père de famille, jusqu’ici encrouté dans sa position de mâle paisible et bien nourri, décide de réagir pour s’imposer et d’un même revers de manche dégager Trissotin de la maison. Plutôt mou dans sa démarche, il lui faudra l’aide d’Ariste son frère et le bagou de Martine pour éviter à Henriette le mariage arrangé avec Trissotin, démasquer la fourberie du parasite et remettre un peu d’ordre dans sa maison … tout cela aux dépends de son ainée Armande, qui, pour l’avoir rejeté, aveuglée qu’elle était par son souci de supériorité intellectuelle, a laissé passer l’amour de Clitandre.

TRISSOTIN OU LES FEMMES SAVANTES - Moliere - Macha Makeieff -

Révérences …

Jubilatoire est bien le mot qui définit la mise en scène à la fois fine et déjantée de Macha Makeieff qui nous sert son Molière à la sauce théâtre de boulevard mais décliné version gastronomique. L’ambiance seventies assumée par un décor d’une richesse mobilière à faire pâlir les brocanteurs vintage plonge le spectateur dans un film de la grande époque de Louis de Funes ; la ressemblance allant même jusqu’à la filiation de Marie Armelle Deguy avec Claude Gensac, aussi bien dans le physique longiligne et ondulant que dans le registre hyper vitaminé. Evitant à tout moment la caricature que l’on redoute un peu au début de la pièce, la metteur en scène maitrise parfaitement le dosage entre gags potaches et humour plus subtil si bien que l’on rit vraiment de la pagaille qui secoue la maison. Loin d’être fatigant, le sempiternel va et vient des personnages contribue à donner une dimension plus grande encore au propos de Macha Makeieff. Que ce soit le valet, Arthur Deschamps (son fils), omniprésent et habitant l’espace avec un charisme certain bien que disposant de peu de répliques, ou des interventions muettes dans les annexes de la maison (une sorte de véranda vitrée devenant laboratoire de chimie ou la chambre d’Armande sur une mezzanine), ce vase clos contribue à montrer comment la frénésie de savoir et l’embrigadement des filles par Trissotin imprègne la maison et comment tout ce petit monde est impacté directement par le chamboulement qui frappe le logis. Certaines scènes muettes apportent aussi un prolongement plus subtil  à la  psychologie des personnages : il en va ainsi d’un pas de danse esquissé par Chrysale et Philaminte entre deux engueulades musclées, preuve qu’il y a toujours de l’amour dans leur couple ou des gestes tendres entre Clitandre et Armande semblant montrer que leur amour n’est pas totalement éteint après leur rupture (ce qui n’augure rien de bon pour la suite dans leur vie « après la pièce »).

TRISSOTIN OU LES FEMMES SAVANTES - Moliere - Macha Makeieff -

Loin de se contenter de jouer du comique de la satire de ces femmes qui soudain se gargarisent de sonnets et de réactions chimiques (on rit encore de celle provoquant une intarissable éjaculation de mousse hors d’un immense et prometteur tube à essai, des mains de Bélise, la belle soeur nymphomane, proche de l’orgasme devant un tel miracle de la science), Macha Makeieff recentre le noeud du problème sur Trissotin, tout comme Molière qui, dans sa seconde version, intègre son nom au titre de la pièce. Incarné par l’intrigant et exubérant Geoffroy Rondeau, Trissotin se présente comme un compromis entre John Galliano et Conchita Wurst, perché sur des semelles compensées, enveloppé dans un chemisier ample et vaporeux, le visage barbu et outrancièrement maquillé en partie masqué par une chevelure luxuriante faisant passer princesse Raiponce pour une skinhead (mais n’est-ce pas, transposé trois siècles plus tard, le dress code imposé par Louis XIV ?) . Le personnage construit a toute l’atypie nécéssaire pour marquer les esprits, le côté vénéneux idéal pour introduire de manière insidieuse sa main mise sur la maisonnée (effrayante confrontation entre Henriette et lui dans le dernier acte) et le pouvoir de persuasion qui fait les grands gourous. Car le message est bien là : l’éveil des femmes est nécessaire et judicieux bien sûr mais en se méfiant de ne pas tomber sous la coupe de charlatans et pire, d’imiter ces vrais sots et faux hommes d’esprit dont les salons bourgeois étaient et sont toujours peuplés. De manière assez frontale, la pièce ne masque pas la caricature de l’Homme dans toute sa splendeur, qui tant qu’il a à manger et à boire ne se pose pas trop de question sur ce qui se passe autour de lui. A peine la cuisinière limogée, le monde masculin, soudain conscient du drame qui se joue autour de lui, se met en branle depuis le placard du salon contenant les réserves : carafes de scotch et biscuits apéro nécessaires pour tenir le siège de la maison ! A ce jeu, Vincent Winterhalter est truculent dans le rôle du mari dépassé par l’énergie débordante de son épouse incarnée de manière jubilatoire par Marie Armelle Deguy dont le surdosage vitaminique est communicatif et faire rire aux éclats. Anna Steiger donne de la voix à Bélise en plus d’en faire une vieille fille complètement dirigée par ses poussées hormonales ; tout comme Ivan Ludlow, Clitandre géant et séducteur, un peu plus à l’aise toutefois lorsqu’il s’agit de de pousser la chansonnette que déclamer des alexandrins.La relation entre les deux soeurs, pervertie par la dualité entre les choses du corps auxquelles aspire Henriette et celles de l’esprit occupant Armande est très finement développée sur scène ; Vanessa Fonte et Caroline Espargilière donnent chacune un relief particulier à leur personnage n’hésitant pas à en livrer la fragilité  jusque dans la scène finale qui propose un tournant soudain très lucide (et explosif) à cette aventure. Les effets collatéraux de l’aveuglement en quelque sorte … mais je n’en dis pas plus !La langue pour finir est globalement très bien défendue au point qu’on oublie rapidement la métrique des vers et que le flot coule, sans heurt.

 

TRISSOTIN OU LES FEMMES SAVANTES - Moliere - Macha Makeieff -

… et coups d’épée ! 

peu de choses à redire de ce spectacle dont même la bande son, très présente  (Macha Makeieff/Jean Bellorini) est finement dosée et follement envoutante !

TRISSOTIN OU LES FEMMES SAVANTES - Moliere - Macha Makeieff -

Pour conclure, 

cette production de Trissotin ou Les Femmes Savantes est une nouvelle preuve que le théâtre de Molière est d’une infinie richesse, capable de résonner à toutes les époques. Grâce à une mise en scène futée, enlevée et jubilatoire, Macha Makeieff tourne et retourne le texte, poussant les propos de l’auteur dans leurs derniers retranchements pour en mieux dégager un sens parfois inattendu. Un grand exemple de mise en scène porté par des comédiens investis et charismatiques qui emportent tout le public pour un voyage dans le temps halluciné et hilarant. Une vraie dose de bonne humeur … et avouez c’est tellement bon de ressortir d’une salle de spectacle sur un petit nuage et avec un grand sourire !

TRISSOTIN OU LES FEMMES SAVANTES - Moliere - Macha Makeieff -

Trissotin ou les Femmes Savantes (Molière) – La Scala Paris – Vendredi 26 Avril 2019

crédit photo Brigitte Enguerand

Laisser un commentaire