Faust … Spectateur as tu vendu ton âme ?

Il n’est jamais facile de se confronter à un mythe et le spectateur assidu que je suis devrais savoir que cela expose souvent à des désillusions. Il n’empêche … voir ce Faust de Goethe (1808) pour la première fois dans une nouvelle production de la Comédie Française avait bien de la gueule sur le papier. D’autant que la mise en scène annonçait deux petits prodiges de la magie nouvelle :  Valentine Losseau et Raphael Navarro. De quoi se réjouir en matière de diablerie visuelle. Mais la sauce n’est pas si simple à faire prendre et s’attaquer à un Everest de la littérature, fut il germanique, ne se fait pas avec une tente Quechua et une paire d’espadrilles. Ainsi, si l’on ressort content de cette randonnée de près de 3 heures qui nous montre en effet de jolis paysages, à bien y réfléchir on devrait surtout ressortir frustré de n’avoir fait que tutoyer les pentes accessibles de la montagne sans jamais au grand jamais en apercevoir (je ne parle même pas d’atteindre), le sommet.  

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L’histoire : 

Dieu, (rien que çà … imaginez le sentiment de toute puissance, et quelque part l’inquiétude qui va avec, du comédien qui joue …Dieu !) et Méphistophélès conversent librement dans un noman’s land céleste ; trouvant presque du remords à torturer les hommes qui ont la bêtise de s’infliger eux mêmes leurs propres maux, le diable vient à accepter le pari qu’il arrivera à détourner Faust, un docteur sage et savant, de la voie de la connaissance divine qui est à l’heure actuelle sa seule préoccupation. Et ce pari tombe à pic … Faust est en pleine crise de doute : sa recherche du savoir absolu est vaine, il en a pris conscience ; jamais il ne connaîtra tout, jamais sa quête n’aboutira. « Tout ce que vous nommez péché, destruction, bref, ce qu’on entend par mal » lui apparait à ce moment, alors que de désespoir, il est prêt à boire du poison.  Tenté par ce que propose de lui offrir Méphistophélès, Faust accepte de lui donner son âme après sa mort si ce dernier lui offre de le servir et de l’instruire durant le reste de sa vie. Et le chaos va s’en suivre : d’abord rajeuni par la potion d’une sorcière, voilà Faust, à peine sorti d’une escarmouche dans le troquet du coin, préoccupé d’obtenir Marguerite, une innocente et pieuse jeune fille que le diable lui a montré dans un miroir magique. Il l’obtient et pour faire court arrive à la violer, lui faire un enfant et l’abandonner , tuer sa mère et faire tuer son frère Valentin par son diabolique entremetteur, non sans que le frère ait maudit la soeur pour sa vie de trainée responsable du déshonneur de la famille. Parti oublier cela dans la fameuse nuit de Walpurgis, Faust apprend que Marguerite a tué son bébé  et est condamnée au bucher pour infanticide. Il demande à Méphistophélès de la retrouver dans son cachot mais la jeune fille devenue folle et sentant la menace du diable refuse de s’évader. Conduite au bucher, elle est sanctifiée et monte direct au Ciel, sauvée, tandis que Faust, définitivement perdu pour Dieu, s’enfuit avec le diable.

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Révérences …

La mise en scène place l’action délibérément dans son jus : on est en plein décor et état d’esprit Sturm und Drangcette vague germanique pré-romantique, prête à submerger l’Europe et nourrir le « romantisme noir » (un peu le Tim Burton du XIX ème). Et cette idée est bonne en soi, le sujet s’y prête et la période choisie pour l’action est favorable à l’introduction des éléments mystérieux qui pimentent l’approche de Valentine Losseau et Raphael Navarro. Ce qu’il faut donc saluer c’est que le parti pris du récit fantastique, est maintenu sans faillir durant toute la pièce. Dans un décor évolutif surchargé ou ultra dépouillé (« sturm und drang » ne voulant pourtant pas dire « tout ou rien »!), mais globalement surchargé, le spectateur est un peu plongé dans le bureau de Dumbledore tel que se l’imagine les lecteurs d’Harry Potter. Et le parallèle n’est pas innocent (en tout cas il est facile) puisqu’il va s’agir de magie durant une bonne partie du spectacle. Cette introduction d’illusions diverses, directement liées à des « trucs » de magiciens ou plus basiquement à de la technique visuelle (projections d’ombres chinoises et hologrammes), fonctionne parfaitement et force est d’avouer que l’on se laisse embarquer dans cet univers. Voir le diable léviter et Dieu rester assis au dessus du sol, assister à la décorporation de Faust au moment où il accepte le pacte, voir les diablotins de la sorcière s’affairer à porter les malles contenant les éléments de ses potions, vivre de manière troublante la première et douloureuse expérience charnelle de Marguerite et sa disparition du plateau au sens littéral lors de sa mort, ou enfin entendre parler des feux follets au dessous de sa tête, … tout cela ne peut laisser bouche bée qui est amateur de ce genre d’illusion. Et en maitre de ce cabinet de curiosités, le diable domine la distribution : le rôle correspond à Christian Hecq qui excelle toujours dans les rôles de méchants (on se souvient de son terrifiant Gubetta dans Lucrèce Borgia). Maniant avec humour et désinvolture son texte démoniaque il sert merveilleusement les intentions de la mise en scène et si l’on s’en tient à cela captive le spectateur. A la fois Dieu, un étudiant et la sorcière, Elliot Jenicot apporte réellement quelquechose à ces rôles en faisant preuve dans les deux derniers personnages d’un sens du comique plus qu’efficace (jusqu’à une chute imprévue lors d’une danse autour de son  chaudron qui vaudra un fou rire à tout le plateau).  Benjamin Lavernhe enfin tire son  épingle du jeu dans le rôle du directeur de théâtre, clone parfait, jusque dans la voix, d’Eric Ruf,  administrateur de la troupe et signataire de la scénographie du spectacle. La situation fut d’autant plus drôle que le « vrai » Eric Ruf occupait le siège devant moi et riait de bon coeur, comme un écho de l’imitation du comédien.  Le jeune comédien se perd en revanche dans le rôle de Valentin, qu’il nous sert un peu fade et convenu. Mais nous versons déjà dans ce qui n’a pas plu !

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… et coups d’épée !

Car, si le spectateur se laisse charmer par le philtre enchanteur de la sorcellerie, force est d’avouer que la mise en scène est franchement simpliste, quand on l’envisage sous l’angle de ce qu’elle apporte ou révèle de l’oeuvre. Se contentant d’accumulant des scènettes propices à la réalisation des tours de passe passe, elle fait perdre à la pièce (pas simple à mettre en scène tout le monde sera d’accord) tout son enjeu si bien que le pari du Diable et de Dieu est bien vite oublié. On en vient en comparaison à trouver assez forte et cohérente l’adaptation qu’en a fait Gounod (même si, fidèle à ses penchants pour les bondieuseries, il tombe un peu trop dans le religieux) mais le fait qu’une adaptation à l’opéra arrive à rendre grâce au  contenu original est assez rare pour être signalé . Faust, incarné par Laurent Natrella, pas franchement en verve, n’a aucunement la prestance d’un savant philosophe, semble totalement hébété en découvrant les choses de la vie et n’est, ce qui est la cause du ratage de cette mise en scène, même pas aterré par sa déchéance brutale d’une recherche de la transcendance à un vautrage dans le nihilisme le plus absolu et le plus cruel. La scène où dans l’Eglise, il renie Dieu devant Marguerite, passe totalement inaperçue alors que c’est l’un des moments clé de la pièce. De la même manière, la mise en scène occulte complètement la tragédie que vit Marguerite pourtant délicatement incarnée par Anna Cervinka, mais qui passe ici pour une nunuche que l’on oublie bien vite et tout le drame de son histoire aussi. Cela aboutit à un spectacle inégalement ressenti : si l’on est enthousiaste à l’issue de la première partie, l’absence de profondeur dans tout ce qui raconte l’échec de Faust dans son expérience de la nature humaine déçoit. Déception consommée dans la scène de la nuit de Walpurgis, où l’idée est de faire apparaitre en hologramme toute la troupe comme si cette nuit de sabbat était une cérémonie des Molières interne. Cela n’a évidement aucun sens, aucun lien avec le texte et aucun intérêt si ce n’est celui de réaliser une nouvelle prouesse technique.

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Si l’on doit parler du texte, cette création aurait pu être l’occasion d’utiliser une autre traduction que celle de Gérard de Nerval, parfois obscure dans sa forme, et du coup inadaptée à l’angle choisi ici, qui délaisse tout le côté métaphysique de l’oeuvre pour se concentrer sur de la physique amusante. C’est ce côté « superficiel » du parti pris qui pousse Christian Hecq à camper un diable de foire se contentant de faire un (efficace) cabotinage et des petits numéros d’esprit frappeur là où l’enjeu voulu par le texte se montre bien plus profond. Cette simplification à l’extrême des personnages sabote ainsi la dualité du personnage à la fois partagé entre ses instincts destructeur « celui qui toujours nie » et son désir d’accéder à l’intemporalité de ce Dieu qu’il défie. Un diable qui ne fait pas peur en résumé accompagnant un homme qui se perd dans un mal gratuit et inhumain avec un détachement rapidement sans enjeu dramatique.

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Pour conclure,

Alors bien sur le spectateur passe une bonne soirée, rien n’est désagréable ou foncièrement ennuyeux ; comme à la foire, il en a pour son argent et les metteurs en scène ont tout fait pour çà, jusqu’à réussir le pari de lui laver le cerveau et lui faire oublier qu’il est avant tout spectateur et pas simple badaud ; oublier aussi que ce Faust est un mythe et pas un épisode de Buffy contre les vampires, que cette oeuvre pose des questions qui seront les bases de certains courants philosophiques et qu’il y a bien plus à faire du contenu de cette pièce que de la survoler comme une sorcière sur son balai ferait un rapide tour de la lande froide et brumeuse… N’est ce donc pas avoir vendu son âme au diable de la facilité et de la simplification à outrance que d’accepter de cette maison là une version aussi vide de la pièce ? On en ressort rempli de confusion et de questionnement sur ce tour de magie que l’on nous a joué : émerveillé de ce que l’on a vu mais regrettant déjà ce que l’on a perdu ou pas atteint  … chargé des questions métaphysiques du docteur Faust en fait !

Faust (Goethe) Comédie Française Théatre du Vieux Colombier – Samedi 5 mai 2018

Crédit Photo Vincent Pontet (coll CF)

 

 

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