Macbeth … exsangue et atone !

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Très attendue dans la saison théâtrale parisienne et aussi très bien vendue par une visuel plus qu’alléchant … on parle aujourd’hui de la création de Macbeth par Stéphane Braunschweig à l’Odéon Theâtre de l’Europe. S’attaquer à ce monument doit être impressionnant quand on est metteur en scène, en raison de tout l’inconscient collectif qui tourne autour de la pièce, en raison de tous les angles d’attaque possibles liés à la complexité des personnages de cette sanglante course au pouvoir, en raison des contraintes liées au texte peuplé de sorcières, fantômes, spectres et autre forêt mouvante. Hélas, si le défi scénographique est ici réussi, la production s’avère au final plus décevante qu’un pétard mouillé un 14 juillet pluvieux en Picardie. Ca vend du rêve non ?

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Macbeth est avant tout l’histoire de deux mondes qui se croisent et  de cette interpolation qui rend possible ce que la morale et la raison auraient interdit. Sans se plonger dans la psychanalyse des personnages principaux (sujet tout aussi passionnant qu’incongru en quelques 1000 mots : le rôle important de l’absence d’enfant, le refoulement présumé de la sexualité entre les époux Macbeth soit par castration du mari, soit par frigidité de l’épouse…), ce qui doit frapper dans la pièce, et qui est assez bien présenté par Stéphane Braunschweig dans le programme de salle, c’est que la confrontation des sorcières et de Macbeth permet à celui ci de révéler son potentiel mauvais. Toute la problématique du metteur en scène est alors de définir si ce mauvais penchant est pathologique (Macbeth serait alors un psychopathe et les sorcières une hallucination psychotique déclenchant sa maladie) ou si ce mauvais penchant fait partie de l’humain qui recèle naturellement au fond de lui un peu de Mal à côté du Bien (les sorcières serviraient alors de « fusible » capable d’évacuer la mauvaise conscience rendant ainsi supportable l’idée du meurtre pour accéder au pouvoir, désir humain assez basique).

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De retour victorieux du combat, Macbeth rencontre trois sorcières qui lui annoncent qu’il va rapidement gagner le titre de de thane de Cawdor avant d’accéder au trône. Banquo, son général, en revanche n’accèdera pas au trône mais sera le patriarche d’une lignée de rois. La première prophétie se concrétise rapidement : Macbeth hérite pour ses bons services guerriers du titre de thane de Cawdor dont est destitué un traitre. Il n’en faut pas moins pour que, poussé par sa femme avide de pouvoir, il tue le roi Duncan dont les fils, craignant pour leur vie, s’enfuient (devenant par la même suspects), ce qui permet au meurtrier de se voir couronné à la place de Malcolm, fils héritier désormais à l’abri sur le sol anglais. Mais Macbeth se souvient de la prophétie concernant Banquo ; méfiant et ne voulant pas voir le fils de son général s’accaparer le trône, il ordonne leur assassinat. Fléance, le fils, arrive à s’échapper. Macbeth devient rapidement la proie d’une névrose face aux horreurs commises et manque de se faire démasquer lors d’un banquet où le spectre de Banquo lui apparait. Lady Macbeth fait tout pour noyer le poisson. De plus en plus inquiet, Macbeth retourne consulter les sorcières qui lui conseillent de se méfier de Macduff, un noble de la cour exilé hors d’Ecosse (dont il fait tuer la famille), et lui prédisent que rien ne lui arrivera tant que la forêt de Birnam ne se mettra pas en marche contre lui et que seul un homme qui n’est pas né d’une femme pourra le tuer. Elles restent cependant catégoriques sur la descendance royale de Banquo au travers de moultes apparitions d’enfants couronnés. Refoulant complètement son crime, Lady Macbeth est en proie à un cauchemardesque somnambulisme. Elle déambule tous les soirs dans les couloirs du château en voulant, sans y parvenir, laver ce sang qui souille ces mains … les témoins en sont médusés et deviennent méfiants … terrifiée et n’ayant pu bénéficier des soins de monsieur Freud, hélas pas encore né, la malheureuse se suicide. Macbeth, resté seul, angoisse … d’autant plus que Macduff revient d’Angleterre avec le prince Malcolm. Ils avancent vers le château cachés derrière des branches de la forêt de Birnam donnant l’impression du haut des remparts et en étant totalement myope, que la forêt avance. Macduff, tiré du ventre de sa mère par césarienne (justification de la prophétie toute aussi tirée mais par les cheveux celle ci) n’est pas né d’une femme (car Willy sous entend « né de manière conventionnelle »), il peut alors tuer le dictateur et placer sur le trône Malcolm, le fils hériter du roi assassiné.

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Stéphane Braunschweig semble vouloir privilégier l’hypothèse d’un Macbeth qui par la réalisation d’une prédiction va basculer du côté sombre de l’humain par oubli de son libre arbitre et de sa responsabilité derrière le masque pratique de la nécessité de l’accomplissement d’un destin pré-écrit. Il n’y pas ici de monstre sanguinaire prédisposé mais une situation qui provoque la totale déshumanisation du personnage sans que celui ci n’en ait réellement conscience. C’est surement pour cette raison que ce qu’il nous montre est presque entièrement dépouillé de toute l’horreur de ce qui se passe autour du monstre. Toutefois le metteur en scène échoue pour deux raisons : d’abord à cause de sa scénographie contradictoire envers le parti pris (parce que son décor réclame une concrétisation de l’horreur), ensuite à cause d’une direction d’acteurs ou d’une erreur de distribution ( cela est difficile à trancher) qui ne convainc pas, allant même sur certaines scènes jusqu’à provoquer l’enlisement et la dévalorisation du texte.

La scénographie est indiscutablement somptueuse : une vaste salle d’abattoir (carreaux de faïence d’un blanc immaculé, évier professionnel en inox et alignement de couteaux et hachoirs en tout genre) dont les cloisons mobiles permettent de dégager une salle officielle digne des salons de Versailles, toute en moulures dorées, panneaux de bois peints et lourdes tentures. Les ultimes portes de ce décor gigogne s’ouvrent sur un néant d’où ne sortent que peu de personnages et principalement le spectre de Banquo (ensanglanté de manière plus que ridicule, donnant au passage à cette apparition un air de farce ratée). Ce décor permet de jongler facilement avec les différents changements de lieux au fil des scènes ; on regrette l’absence de changement à vue entre les actes qui auraient eu l’avantage de réduire les temps morts, salle plongée dans le noir particulièrement préjudiciables au rythme déjà poussif de la production. Toutefois, partant du postulat que le metteur en scène veut nous plonger dans la tête de Macbeth et donc nous faire perdre la notion de « crime », pourquoi choisir ces carreaux blancs qui, associés au comportement de serial killer de Macbeth, semblent faits pour être tâchés de sang ? Le décor n’appelle que çà mais la matérialisation de cette grande boucherie n’arrive pas ! Première frustration et gros échec du décor qui réclame le contraire de ce que veut le metteur en scène :  pour s’en tenir au parti pris une ambiance plus feutrée (on pense aux éliminations « discrètes » du KGB) aurait été plus à même de véhiculer le message du metteur en scène.

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L’autre point faible de la production qui empêche le point de vue de Stéphane Braunschweig d’être convainquant est le manque de chair des comédiens. Si l’intention est de nous montrer un Macbeth humain avec ses faiblesses et ses instincts, perdant soudain tout contrôle de sa moralité, de son sens du devoir, de son humanité alors Adama Diop qui tient le rôle n’a pas la carrure qu’il faut. Si son personnage doit être joué comme s’il ne réalisait pas la folie meurtrière dans laquelle il sombre, il convient en revanche que le public soit spectateur de cette évolution, de la naissance (encore un rapport à la fertilité) du monstre : il n’en n’est rien car le personnage n’évolue pas durant la pièce sauf à simuler quelques accès de folie par des cris et des postures assez caricaturaux. Dans ce couple maléfique, Chloé Rejon, se montre un poil plus convaincante surement plus par son coté froid et intransigeant que par une incarnation plus profonde du personnage. Sa voix, superbe, ne suffit pas à donner de la consistance à cette Lady Macbeth qui tombe comme un costume trop grand pour elle. A eux deux ils sabotent la scène du banquet et la scène du somnambulisme qui manquent cruellement de saveur. Le trio des sorcière (Alison Valence, Boutaïna El Fekkak, Virginie Colemyn) sort le public de sa torpeur à chaque apparition ; enceintes au début, elles enfanteront par la suite dans les seaux en inox (!!) sur lesquels elles sont assises ;  « sapées comme jamais » pour reprendre les mots  d’un poète à deux drachmes, elles apportent tout le côté déjanté nécessaire à ces scènes fantastiques jouant de leur timbre de voix et psalmodiant leurs incantations avec humour. Sans hésitation, le trio gagnant de la soirée. Le reste de la distribution, sans relief dans la déclamation, sans âme dans l’interprétation est d’une fadeur à rendre un poireau bouilli super appétissant. Elle étire à l’infini les scènes politiques (comme la scène Macduff/Malcolm du dernier acte qui s’avère pire que devoir déchiffrer l’Assommoir en finlandais)  et inflige à la soirée un rythme plus plat que l’électrocardiogramme de la grenouille au bout de 2 minutes de dissection lors de vos cours de SVT.

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Nouvel exemple de spectacle où tout (beaucoup) est basé sur la forme, ce Macbeth, pourtant issu d’une réflexion vraiment intéressante et assurement singulière sur la pièce, pêche cruellement par une mise en scène apathique et trop évasive qu’une distribution pas assez aguerrie ne peut porter davantage. Erreur d’aiguillage, ennui et grosse déception !

Macbeth (Shakespeare) – Théâtre de l’Europe – Odéon – Vendredi 16 février 2018

Crédit Photo Thierry Depagne ; Elisbeth Carrechio

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