DOM JUAN – Odéon Théâtre de l’Europe

Après le Dom Juan choc de David Bobée qui proposait de renverser les mythes, secondé en cela par une distribution juvénile et métissée et la mémorable prestation de Radouan Leflahi, il était bien sûr très tentant d’aller voir la proposition de Macha Makeïeff donnée à Odéon Théâtre de l’Europe dont l’ambition était tout autre : sonder l’insatiable désir du personnage de pervertir tout ce qui l’entoure pour expliquer le personnage traqué et empêché que montre à voir la pièce. Car s’il est vrai que le don Juanisme évoque un séducteur triomphant il faut bien constater que Molière fait davantage le portrait d’un homme qui rate bon nombre d’entreprises jusqu’à son dernier dîner !

Macha Makeïeff atteint son but en commençant par redonner en premier lieu à la pièce son vrai statut (souvent négligé au profit de visions à l’austérité jésuite ) de tragi-comédie par des ruptures de rythme propices à des scènes de mime pas toujours concluantes mais surtout en ciselant les seconds rôles. Le génial Joaquim Fossi, magistral dans le registre comique, est un exemple parfait de ce beau travail sur les rôles d’arrière plan : il réussit à se sortir du périlleux acte des paysans en proposant un Piarrot extrêmement drôle sans être malaisant comme trop souvent. On le retrouve flanqué d’Anthony Moudir pour faire des frères d’Elvire un duo de bras cassés décalé et inattendu dont le comique n’est pas sans rappeler celui loufoque et absurde des Deschiens.

L’approche de Macha Makeïeff propose pour son Dom Juan un séducteur davantage raté, crépusculaire et maniaco-dépressif jouissant nombrilistement de son image qu’un conquérant flamboyant et solaire objet de tous les regards ; un homme en bout de course que Xavier Gallais construit en nonchalant dandy, vêtu de fanfreluches noires et autres robes de chambre décadentes sentant le rance et « le lit défait », sorte de portrait de Molière aux cheveux hirsutes et filasses, assez peu raccord avec l’image que l’on se fait du personnage mais qui rapidement fascine autant qu’il dégoûte. La relation essentielle avec son valet (Vincent Winterhalter) aurait cependant pu être davantage approfondie pour coller aux intentions avouées de mise en scène (et du texte !) de souligner que le maître n’existe pas sans lui (toujours cette question de l’auto-erotisation mentale de l’image : au final une question très contemporaine). On passera sur l’Elvire dignement digne d’Irina Solano dont la mise en scène ne fait hélas que survoler la profondeur.

Mais à supprimer le poids écrasant de la Religion au XVIIème (chevillé au texte de Molière), à « vider » ce Ciel maintes fois évoqué au fil du récit, à transposer la liberté absolue revendiquée par le personnage, celle là même qui le met en marge d’une société corsetée par le dogme et qui cherche à se débarrasser de ce fruit pourri qu’elle a « honte d’avoir enfanté », vers un simple libertinage érotique et sadien, ne transforme t’on pas Dom Juan en vicomte de Valmont (ce qui n’est pas pour me déplaire bien sûr) et ne dérape t-on pas vers un hors sujet appauvrissant la portée inépuisable de cette sublime pièce de Molière.

DOM JUAN
Molière/Makeïeff
Odéon théâtre de l’Europe
Jusqu’au 19 mai 2024
crédit photos Juliette Parisot @starwarlock pour la couv’

Laisser un commentaire