THIERREE SHECHTER PEREZ PITE

Il est des moments où le 6ème sens devrait être mieux écouté… cette soirée alignant quatre noms particulièrement en vue en ce moment dans le domaine de la danse d’aujourd’hui attirait principalement, ne nous voilons pas la face, pour la reprise du raz de marée de Crystal Pite : The Seasons ‘ Canon qui avait secoué le public la saison passée. Mais Le happening de James Thierrée annoncé en apéritif dans les espaces publics du palais Garnier pouvait laisser présager quelquechose de spectaculaire, les deux autres créations s’avéraient aguicheuses entre le phénomène Hofesh Shechter et la vedette montante Ivan Pérez… notre 6ème sens en doutait cependant … qu’en fut il ? Un long voyage au bout de l’ennui guidé par la lumière qui brillait au bout du tunnel et valait à elle seule la peine de subir les 2h30 insipides qui conduisaient à la libération.  

L’histoire

James Thierrée, affublé dans le programme de la fonction de chorégraphe, mais aussi scénographe, compositeur, costumier … propose Frôlons, une composition dans laquelle des créatures partent de la Rotonde au sous sol pour investir les espaces publics du Grand Foyer aux couloirs en passant par le Grand Escalier avant de finir happées par un cocon géant palpitant sur la scène. Dans The Art of not Looking Back, Hofesh Shechter plante d’emblée le décor en annonçant au début du ballet : « ma mère m’a abandonné à l’âge de deux ans, merci et bonne soirée » … et maintenant débrouillez vous avec çà est on tenté de rajouter … il en fait une pièce pour 9 danseuses (rappelant les 9 mois de gestation ?) sur une musique stridente et agressive, l’occasion pour l’Opéra de Paris de montrer le soin apporté à sa clientèle sensible en distribuant des bouchons d’oreilles à mettre pendant l’oeuvre, un comble dans l’Académie Royale de Musique. Après la réflexion sur la meilleure manière de vivre sa vie (vivre le présent ou fouiller le passé ?) et la féminité, le programme suivant aborde le thème de la masculinité. En partant du livre The Male Dancer de Ramsay Burt, Ivan Pérez s’interroge avec 10 garçons sur le rôle du danseur mâaale  et la manière d’être un petit gars dans le monde de la danse… sur la musique doucereuse d’Arvo Pärt (cela faisait longtemps). Enfin, oubliant l’Individu pour se focaliser sur le Groupe et délaissant le « Genre » en neutralisant les sexes (tout le monde étant torse nu), Crystal Pite solutionne avec The Seasons’ Canon, les équations précédentes en affirmant dans un ballet cosmique que le Tout triomphe sur le Singulier et la Force de la Nature sur l’Intellect de l’Homme.

teqxgcuodrkukbenswjr

Révérences 

Bien sur Crystal Pite raffle la mise et soulève une nouvelle fois la salle en proposant un ballet qui développe son univers personnel et artistique mais qui assimile aussi les caractéristiques de la compagnie pour qui le ballet avait été crée en 2016. Dans une ambiance mordorée et sur fond de projection d’aurores boréales stylisées, une myriade de danseurs évoluent dans un numéro explorant leur appartenance à un ensemble. Cette pièce transcende la notion de corps de ballet, sublime l’idée de faire la même chose ensemble pour démultiplier l’énergie et par moment mettre en avant de manière fugace l’individu avant de le rappeler dans la masse anonyme. Cellules appartenant à une seule et unique entité d’origine indéterminée mais furieusement vivante, les x danseurs respirent au même rythme, font battre leur corps et leur coeur à l’unisson réalisant des prodiges visuels à l’impact émotionnel parfaitement maîtrisé et efficace (efficacité obtenu pour certaines images avec des effets « faciles » il faut quand même l’admettre). Comme une sorte de Sacre du printemps du XXIème siècle, ce ballet libère une énergie incroyable et fait exploser dans la salle un sorte de principe de vie indescriptible … et cela fonctionne à chaque fois !

giavu09dkbceojapr7fb

Ce qui est à retenir de positif de cette soirée est, et cela est rassurant pour la suite et après la crise traversée cette année, que la compagnie est toujours d’un excellent niveau. L’adaptation parfaite des filles (Hannah O’Neill, Muriel Zusperreguy, Marion Barbeau, Héloise Bourdon, Ida Viikinkoski, Caroline Ormont, Marion Gautier de Charnacé, Clemence Gross et Héloise Jocqueviel) au langage totalement désarticulé et anguleux et à l’antithèse du vocabulaire parlé dans cette maison en est la preuve. La beauté du geste des garçons (Stéphane Bullion, Germain Louvet, Vincent Chaillet, Aurelien Houette, Pablo Legasa, Jérémy Loup Quer, Adrien Couvez, Yvon Demol, Simon Le Borgne, Samuel Murez) dans l’inepte composition de Ivan Pérez montre une maitrise du corps et de l’expressivité indéniable. L’impeccable cohésion dans Pite finissant de prouver que, motivé, le corps de ballet peut être parfaitement synchrone et ordonné…

… Et coups d’épée !

Il faut hélas passer par trois pensums dont peu de choses sont à retenir avant d’atteindre le nirvana. De Frôlons, de James Thierrée, difficile de retenir autre chose que la beauté des costumes. Pour le reste n’est ce pas du gâchis que de faire ramper sur le sol, au mieux affublé d’une tenue de porc épic doré, des danseurs (dont certains étoile de l’Opéra) ? La plaisanterie dure 50 minutes dont 10 grand maximum permettent de se faire une idée de ce crapahutage qui permet tout au plus de : 1- écraser un danseur en  marchant dessus (l’occasion en décimant quelques éléments de faire progresser celle ou celui qui n’est pas au grade qu’il mérite  2- vous faire fouetter les mollets par la queue d’un tapir géant quand cette grosse créature décide de se retourner, c’est cinglant et bon pour la circulation mais quand même ! 3 – avoir la preuve évidente que les gens sont idiots quand « La voix » qui lance la soirée dit de ne surtout pas s’arrêter de déambuler avec les créatures et en particulier dans les escaliers et voir bien évidemment tout monde stagner sur… les marches ! Le reste n’a aucun intérêt ni visuel, ni artistique, ni intellectuel, si ce n’est pour le chorégraphe qui réussit en utilisant simplement le sublime des espaces publics, que l’on re-découvre sous un bel éclairage, à empocher surement un joli pactole… sans avoir peur de frôler le ridicule.

 

 

mr4kiiqxvqrytebldxv4

D’Hofesh Sheshter, on retiendra un style sec, anguleux, aride qui est le sien, on ne lui enlèvera pas. De son ballet The Art of not Looking Back on ne retiendra pas grand chose si ce n’est que les mouvements se répètent pour ne mener nulle part. Ce ballet a tout pour déranger : le sujet, la musique, la violence chorégraphique. Il ne dégage pourtant rien, n’interpelle pas, ne bouscule pas … au point que l’on cesse de compter combien de fois on a baillé pendant ces 30 minutes. Et pour avoir envie de dormir avec cette stridence dans les oreilles il faut un bon somnifère …

qy0jlkogtfaeklf5vdfo

Ivan Pérez ira relire The Male Dancer pour revoir sa conclusion sur le statut du danseur garçon. Tout droits sortis de Priscilla folle du désert, les malheureux danseurs enchaînent des déhanchements lascifs et efféminés sur la soupe musicale d’Arvo Pärt (non là j’exagère car son Stabat Mater est superbe !). Débutant par une transposition du Faune dans laquelle Stéphane Bullion, incarnation de la testostérone à la base, devient la nymphe en jouant avec son écharpe, tandis que Germain Louvet, salopette à paillettes roses fluo, se mue en une créature habillée comme le spectre de la rose qui irait en boite en agitant les bras comme un cygne rose (était-ce un flamant ?). Tout ce ballet, au demeurant très prétentieux, semble aller à l’encontre de son but : le garçon qui danse peut exprimer sa sensibilité sans pour autant tomber dans la caricature du travelo efféminé non ? et puis quel est le rapport d’ailleurs entre exprimer son sens artistique et y perdre son genre ? Malgré les qualités des 10 interprètes, il ne se passe pas grand chose non plus si ce n’est qu’on finit par atteindre le summum du ridicule au bout de 30 minutes d’un doux ronron chorégraphique sans idée et sans âme.

uzstidg7r44jdhxqkplw

Pour conclure, 

Cette soirée pose clairement une question. Faire appel aux chorégraphes « en vogue » , on va plutôt dire « en vie » pour être moins péjoratif, est tout à fait nécessaire dans la vie d’une compagnie. Se poser la question de savoir si leur regard sur la danse est adapté à politique artistique de la compagnie qu’on leur confie fait surement partie de la démarche qui suit ce souhait d’enrichir la liste des chorégraphes associés au répertoire… la même question se reposera lors de la soirée Naharin durant la prochaine saison. Et le problème est qu’actuellement l’impression semble être que l’on cherche à accumuler des noms connus sans forcemment essayer de se re-créer une identité. Clairement, l’identité Noureev tend à disparaitre avec le départ des danseurs de cette génération et le départ de Brigitte Lefevre qui avait d’une certaine façon surfé sur cette vague là. Laissé en jachère par Benjamin Millepied, il devient urgent que le rayonnement de la compagnie soit enfin aiguillé et qu’une politique cohérente soit mise en place. Nous avons confiance en Aurélie Dupond mais il ne faudrait pas qu’elle se fourvoie en se focalisant sur les chorégraphes avec qui elle aurait aimé travailler au détriment de ce qui est bon et cohérent pour la compagnie.

xntqc8fndzs5o6kdswco

Mais au delà de ces questions d’évolution, qu’on en finisse avec ses évenements dans les espaces publics ! les lieux ne permettent pas grand chose de « mouvant » en raison du « trop » de monde à drainer, les danseurs y sont souvent sous exploités et le public n’y voit que l’occasion de pouvoir enfin utiliser autrement qu’en catimini son portable pendant la représentation ! si certains y voient un gain de proximité avec les artistes, j’y vois un manque de respect total tant de la part du public que de la part des concepteurs aussi prestigieux soient ils.

Thierrée, Shechter, Pérez, Pite – Opéra National de Paris – Opéra Garnier – Vendredi 5 juin  2018

crédit photo Agathe Poupeney @OdP

Un commentaire

Laisser un commentaire