Roméo et Juliette : on y retourne !!

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Eros et Thanatos

Que voir dans Romeo et Juliette version Noureev si ce n’est un rapport étroit entre Eros et Thanatos : l’un et l’autre étant partout présent et s’entremêlant dans le ballet sous leur formes les plus brutes. Ce sont systématiquement des poses ne masquant même pas leur signification sexuelle et des provocations obscènes qui déclenchent les rixes entre les clans Capulet et Montaigus. Les seins des villageoises et de la Nourrice sont compulsivement pelotés durant tout le ballet , celle ci n’étant pas la dernière du premier au dernier acte à se laisser entreprendre. Juliette au paroxysme de son désir (car peut on parler d’Amour…?) se retrouve écartelée entre la vie amoureuse (le fantôme de Mercutio et le somnifère) et la vengeance mortelle (le fantôme de Tybalt et le poignard) dans un pas de trois génialement trouvé par le Maitre qui pénètre à ce moment là du ballet au plus profond de l’inconscient de son héroïne. Deux personnages incarnent aussi cette dualité du désir : Mercutio est le jeune homme charnel, brutal et primitif, en quelque sorte une boule d’hormones en ébullition ; dans le clan adverse, Tybalt est froid, à la sexualité refoulée car surement incestueuse (avec sa tante ou sa cousine selon les approches) et au coup d’épée facile… il est l’exact opposé du principe de régénération et quelque part de vie animale représenté par Mercutio. En ce sens Romeo et Juliette est peut être le ballet le plus personnel de Noureev car c’est celui qui, au travers d’une histoire qui aurait pu sentir bon la guimauve au point d’en être écoeurant de mièvrerie, révèle le plus frontalement les félures du personnage et l’ambivalence de son caractère, qui cristallise ses peurs les plus primaires et qui illustre peut être aussi les deux faces des choix qu’il a fait dans sa vie avec leur orientation solaire versus une stagnation sclérosante (la danse contre l’avis de son père, l’Occident contre la Russie communiste …)
A le revoir et à le décortiquer, on ne peut douter que cela soit LE grand ballet de Noureev, celui dans lequel il allie au mieux son ressenti de l’histoire et la construction de sa chorégraphie qui regorge de renvois particulièrement réfléchis et calculé. Cependant j’aurai du mal à dire que c’est mon ballet préféré ; certes tout y est sublime, de la musique de Prokofiev à la scénographie d’Ezio Frigerio, des costumes de Mauro Pagano à la chorégraphie du Maitre … mais je trouve la progression hachée par ces interminables scènes de foule totalement nécessaires à l’histoire mais qui fonctionnent souvent mal quelque soit les approches chorégraphiques. Je ne reviendrai pas sur la scène des acrobates qui est aussi éprouvante pour le public que pour le corps de ballet qui s’y emmêle les drapeaux chaque soir davantage … Le corps de ballet ne m’a guère paru plus à l’aise dans les scènes opposant les deux clans : le jeu individuel de chaque danseur est juste mais la sauce ne prend pas et tout cela fait joué et n’arrive pas à matérialiser la tension qui doit régner entre les Capulet et les Montaigu.

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Ma deuxième session 

gihg1mvmtmr2xjpzd104Mathias Heymann est un Romeo plus charnel que celui de Mathieu Ganio. Il apporte à son personnage la part d’humanité et de jeunesse qui manque peut être à celle de son co-étoile ; il fait moins perdu dans des pensées métaphysiques et n’est pas plongé dans le spleen qui semble habiter celui de son confrère. Sa danse est plus ronde, plus moelleuse, plus aérienne .. moins parfaite aussi (quelques petites difficultés sur les tours assemblés)  mais tellement belle et vivante !! et l’on voit sur scène un Romeo plus aguéri aux « choses » de la vie … moins puceau en quelque sorte. Il m’a personnellement beaucoup séduit et si Mathieu Ganio est un Roméo techniquement stupéfiant, le charisme de Mathias Heyman et sa chaleur me l’ont rendu plus sympathique que celui pseudo dépressif vu il y a 15 jours. L’approche du drame se retrouve du coup plus terre à terre et l’on attribue la mort du héros à un mauvais concours de circonstance plus qu’à un désir (inconscient peut être mais bien présent) de se bruler les ailes que l’on avait pu évoquer dans l’interprétation de Mathieu Ganio. Sa sincérité dans le sentiment apparaitra nettement au moment où il bondit littéralement sur le lit de mort de sa bien aimée pour se jeter sur son malheureux corps !

Déception , Myriam Ould Braham qui devait danser Juliette est blessée … j’attendais beaucoup de sa prestation ; elle est remplacée par Léonore Baulac qui est programmée avec Germain Louvet sur d’autres dates.

j5my0pigdqqkpq1rziroIl lui a donc fallu s’adapter à un autre partenaire ce qui n’est jamais facile, et d’autant plus compliqué quand il s’agit d’interpréter un couple aussi fusionnel et passionné. Clairement son premier acte ne m’a pas donné de frissons … Sa Juliette, dans son sa version « jeune écervelée », fait ses pas , proprement au demeurant mais rien ne se passe de plus même si je ne saurais lui reprocher un défaut d’interprétation, bien au contraire … elle aurait même tendance à m’agacer dans son côté ado tout juste pubère et enfant gâtée lors des scènes avec ses amies …puis vient le coup de foudre, saisissant… mais la scène du balcon n’arrive cette fois encore que péniblement à faire ressentir la suffocation amoureuse qui doit à ce moment habiter le couple et la succession de portés périlleux n’arrive pas à faire passer  ce message. La connivence entre les deux danseurs est fébrile, trop concentrée alors qu’il doit y avoir à ce moment un relâchement total … (mais la chorégraphie est tellement complexe dans ce pas de deux !!) La douce Léonore se révèle en revanche magnifique à partir de l’acte 2 notamment lors de la scène de la mort de Tybalt qui donne la chair de poule lorsqu’elle se jette à genoux aux pieds de Romeo et entreprend de l’escalader littéralement. Bouleversante dans sa douleur. Son acte 3 la montre à son plein régime : le pas de trois des fantômes de Tybalt et Mercutio est totalement réussi et attendrissant, le rêve de Romeo défait de tout son coté fleur bleue et la scène de la crypte déchirante avec une totale dissociation entre son haut du corps parfaitement mort et des jambes d’une belle beauté sur pointe … Pour faire le vieux con, et pour avoir revu la veille un extrait de cette variation par Nicolas Leriche et Isabelle Guerin en 1997, je dirai que la compagnie n’a plus d’interprètes de cette trempe … mais une nouvelle génération est en train de se lever et Léonore Baulac en fait partie. En parlant de génération montante, je ne pouvais passer aussi rapidement que dans mon compte rendu précédent sur le personnage de Pâris … rôle souvent ingrat et souvent effacé de ce jeune homme promis à Juliette qui n’en veut pas. ko84zd501gwt7lyjd4cqDans ce cast, il est dansé par Pablo Legasa qui avait déjà brillé dans le rôle du fakir de la Bayadère en décembre dernier. J’écrivais il y a 15 jours que ce personnage m’ennuyait souvent … mais ça c’était avant Pablo ! Dès son entrée en scène il dégage quelque chose de fort et imposant ce qui n’est pas une mince chose sur la scène de l’Opéra Bastille et dans un décor aussi écrasant ! Sa prestance et sa présence dans l’acte 3 donnent au personnage une certaine autorité qui lui manque souvent et l’on se trouve ému par ce garçon qui s’avère dans son interprétation sincèrement amoureux de Juliette là ou souvent on est plutôt amusé de voir les multiples râteaux qu’il se prend à chaque fois qu’il vient chez les Capulet ! Encore une belle prestation !

L’autre « couple » de l’histoire c’est Tybalt/Mercutio qui passent le ballet à se poursuivre l’épée à la main  … honneur au méchant … Florian Magnenet m’a surpris en apportant le côté racé qui manquait à Karl Paquette dans le rôle de Tybalt sans pour autant avoir assez de noirceur. Et j’avoue avoir été assez étonné de son interprétation virile et combative car très souvent je trouve ce danseur un peu fade. Les scènes d’escrime sont vives, ses sauts puissants et il offre à Mercutio un peu plus de fil à retordre que dans le cast précédent. Mon grand regret sur cette série sera de ne pas avoir vu Stéphane Bullion dans le rôle. z9dzig3pozbtci9muaaxBien sur ai je envie de dire, celui qui porte cet antagoniste duo, c’est François Alu qui m’a paru plus complice avec ses partenaires dans cette distribution. Son interaction avec Romeo dégage un plus fort esprit de camaraderie avec Mathias Heymann qu’avec Mathieu Ganio, surement parce que le Romeo du premier est un peu plus ancré dans la vie réelle que le second dont le décalage avec l’esprit grivois de Mercutio crée un certain déséquilibre des personnages. Lors de cette représentation, François Alu m’a paru encore plus impliqué dans son personnage et encore plus bondissant. C’est assez agaçant de voir qu’il peut tout faire de ses jambes à travers des sauts ahurissants, de ses pieds dont il fait de la dentelle, de ses bras qui ne sont jamais en reste pour accompagner un mouvement … Sa théatralité s’exprime avec verve dans ce rôle taillé sur mesure … sa moindre apparition capte le regard même quand il est en fond de scène avec sur la tête le voile volé à la Nourrice … un énorme triomphe aux saluts … bluffé une nouvelle fois et je dis çà avec une partialité totale … imaginez si je ne censurais pas  ma subjectivité !!

Fabien Revillion mérite sur cette représentation les compliments déjà écrits lors du premier compte rendu et son Benvolio est particulièrement brillant notamment dans le « pas de deux  » du rêve de Romeo et dans ses variations de l’acte 2. Il arrive à proposer un personnage qui ne passe pas inaperçu , loin de là , coincé qu’il est entre Roméo et François Alu. Sa danse noble et pure illustre pleinement le style « opéra de Paris ». Sara Kora Dayanova est une Rosaline agréable qui aurait pu être encore plus piquante pour corser sa relation de marivaudage (même si le terme est un pur anachronisme dans l’Italie de la Renaissance) avec Romeo mais a réussi à dépasser le rôle de potiche dont je qualifierai souvent le rôle. Stephanie Romberg (quelles belles jambes dans le pas des chevaliers) et Laurent Novis sont des parents Capulet à forte personnalité et arrivent à imposer leur présence là où d’autres passent plus discrètement.

Signalons aussi les intempestives attaques des cuivres dans la fosse et les ultras sons des cors … assez récurrents.

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bref, 

Le couple Heymann/Baulac apporte une vision plus fidèle à la pièce de Shakespeare avec une rencontre entre deux jeunes gens qui veulent vivre loin du tumulte qui agite leur ville, qui veulent vivre leur passion et qu’une accumulation de contre temps va pousser vers la mort. C’est moins cérébral que l’interprétation romantique (dans le sens strict du terme : je pense ici à Werther et au romantisme allemand) proposée par le couple Ganio/Albisson chez qui c’est l’amour de l’idée d’être amoureux et une attirance morbide qui aboutit à la mort des héros (interprétation allant plus dans le sens de la vision du chorégraphe que de l’auteur)

Romeo et Juliette / Noureev – Ballet de l’Opéra de Paris (Opéra Bastille) 10 avril 2016

(crédit photo OdP)

2 commentaires

  1. BA dit :

    Comme j´aurai aimé voir cette soirée. J´aime beaucoup M. Heymann et j´ai été très émue par l´interpertation de L. Baulac que j´ai vu danser avec G. Louvet. Ceci étant je ne regrette absolument pas d´avoir vu Baulac/Louvet

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