Je pris la vie en haine et ma flamme en horreur

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Phèdre est un monument, comme ces hauts sommets
que l’on ne sait par où ni comment aborder ;
deux mil trois avait vu Chereau, Blanc, Gregory
sonder avec bonheur ces scènes d’hystérie
et porter sur l’autel des ateliers Berthier
une vision sublime depuis inégalée …
mais bon je ne vais pas tout écrire en vers pour autant ! …
Dès l’accueil on nous demande de laisser au vestiaire les manteaux, les sacs, les armes à feu (bon là on imagine facilement que c’est pour éviter à tout spectateur trop compatissant d’abréger les souffrances de la malheureuse reine  d’un coup de colt six coups dans la nuque)

Une fois rentrés dans la salle, on comprend mieux les exigences en matière d’intendance. L’action va se dérouler sur la scène, dans une boite noire de 8m sur 8 et le public sera installé sur les cotés de ce carré, à l’intérieur de la boite le nez dans l’espace unique du théâtre classique (unité de lieu de temps d’action),  .. la tragédie va se jouer à bout portant
Durant deux heures, les acteurs de la compagnie LE GLOB vont réaliser une prouesse :  ciseler les vers de ce langage d’un autre temps pour parler de personnages oubliés depuis déjà longtemps (qui sont les Pallantides ? qui est Pirithéus??) et relever ainsi le défi de capter l’attention du public, lui faire oublier qu’il est assis (particulièrement inconfortablement) sur des bancs de bois , n’osant (et ne pouvant de toute façon pas) bouger, tousser, respirer tant la proximité des acteurs lui donne l’impression de participer à cette tragédie.  Car oui c’est une prouesse déjà de réussir cela, maintenir en haleine un public d’aujourd’hui avec une oeuvre du passé ; en effet Racine n’est pas contemporain quoique’aient voulu nous faire croire nos professeurs du collège : s’il a su saisir presque cliniquement (je palis, je rougis, je tremblais à sa vue …) les manifestations de sentiments poussés à leurs extrêmes (décrivant presque avant les pontes de la psychanalyse les manifestations de l’hystérie), s’il a su décortiquer les conséquences des pulsions presque animales qui peuvent déchirer le coeur humain donnant ainsi à ses tragédies une certaine universalité, il reste anachronique par son langage : l’alexandrin d’une part, tous ses noms de légendes que plus personne ne connait d’autre part et des tournures parfois alambiquées sont autant de formes de style totalement désuètes voire incompréhensibles pour un public contemporain…
Mais la magie opère dès que l’on entend le flot des vers ruisselants tels les voiles pesant sur le front de Phèdre, s’arcboutant tels les muscles d’Hippolyte conduisant fièrement son char, frissonnant comme les mains fébriles et amoureuses de la douce Aricie … faisant en sorte que même si certains passages de texte peuvent rester hermétiques toute l’émotion du personnage explose, le fond de son coeur nous parait limpide et nous sommes embarqués par cette langue à la sublime beauté, par la  violence des mots qui fait sonner les plus intérieures des déchirures … jusqu’au récit de Théramène qui nous montre en cinémascope le monstre qui va tuer Hippolyte (« sa croupe se recourbe en replis tortueux »)
La Phèdre hallucinée de Roxane Brumachon entraine dans son sillage névrotique l’ensemble de la jeune troupe marquée par un Thésée massif et marmoréen interprété par Frédéric Guerbert et un Hippolyte pour une fois viril et décidé (Baptiste Girard)
Par la proximité des acteurs, qui frôlent parfois les spectateurs , et par l’enfermement dans cette boite sombre Jean Luc Ollivier signe une mise en scène sobre, totalement épurée et rend raison à la beauté du texte. Dans ce dispositif duquel il ne peut fuir, le public est saisi à la gorge et ne sera relâché qu’à l’issue de cette course vers la mort, le laissant hagard et KO mais presque soulagé au moment où la suivante annonce à Thésée : « elle expire seigneur »

bref

du grand théâtre et une version qui me réconcilie avec les metteurs en scène de Phèdre après une reprise décevante à la Comédie Française en 2013
Phèdre, Théatre National de Bordeaux/Aquitaine

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